Urban Comics publie Trois Jokers, une aventure de Batman imaginée par Geoff Johns et Jason Fabok. Leur ambition ? S’appuyer sur des récits emblématiques du Joker pour remodeler le Clown Prince du Crime. Et si en réalité il s’agissait plutôt de parler des victimes de l’ennemi juré de Batman ? (critique SANS SPOILERS)
■ par Stéphane Le Troëdec
Un soir comme un autre et une énième scène de crime à Gotham City. Mais à bien y regarder ce nouveau meurtre va rapidement devenir un énorme casse-tête pour Batman. En effet, comment expliquer que le Joker ait pu faire 3 victimes au même instant dans 3 lieux différents ? Alors que Batman, Batgirl et Red Hood s’acharnent à résoudre cette nouvelle énigme, on découvre que le Joker a trompé nos 3 héros : son objectif était de détourner l’attention pour dérober des produits chimiques. Ceux-là même qui, des décennies plus tôt, l’ont transformé. Mais très vite, une question se pose : et si le Joker n’était pas seul ? Et s’il existait en réalité 3 Jokers ? Et surtout : que pourraient-ils bien faire de ces produits toxiques ? En voulant démêler le vrai du faux, Batman, Batgirl et Red Hood vont faire remonter à la surface d’anciennes blessures qui pourraient bien elles-aussi les transformer à jamais…
Les blessures du passé
Passons rapidement sur cette idée abracadabrante que le Joker ne serait pas seul, mais qu’il y aurait 3 Jokers qui se sont succédés à travers le temps. J’ai consacré un article à soulever les idées qui ne vont pas dans Trois Jokers. Donc ça, c’est fait. Concentrons-nous plutôt sur la bonne idée de Geoff Johns sur ce Trois Jokers : passer à la loupe le mal causé par le Joker à Batman et ses alliés. Le scénariste se repose sur des histoires emblématiques liant Batman et le Joker, principalement Un deuil dans la famille et Killing Joke. Trois Jokers nous montre à quel point Batman, Red Hood et Batgirl ont souffert, et souffrent toujours, des exactions du Clown Prince du Crime. On aurait tellement aimé que Geoff Johns s’attache plus à cet aspect des choses : les 15 premières pages sont probablement les plus réussies et sont justement consacrées à cet aspect de l’intrigue. Plus tard, voir les 3 héros s’entre-déchirer sur la démarche à suivre est aussi une manière de montrer leur souffrance, surtout pour l’un d’eux, aux réactions pour le moins extrêmes. La souffrance est toujours là, sous-jacente, et Geoff Johns nous montre qu’elle peut remonter pour exploser à tout instant.
Un parcours éditorial compliqué
Hélas, cette jolie note d’intention que forment les 1res pages de Trois Jokers s’évapore très rapidement, à l’image d’un périple éditorial chaotique. Rappelons que les racines de cette idée de Trois Jokers remonte à 2016 quant à la fin de « La Guerre de Darkseid » Batman découvre et révèle l’existence de non pas 1 mais de 3 Jokers. L’annonce fait l’effet d’une bombe chez les lecteurs. Hélas, on n’entendra plus parler de cette idée jusqu’à la sortie de Trois Jokers, dans le label mature de DC Comics, le Black Label. Entre-temps, Scott Snyder a pris les commandes de l’univers DC pour lui assener l’absurde, mais pour moi jouissive, épopée « métalleuse » de son Batman qui rit. En revenant quelques années plus tard sur cette idée de 3 Jokers, l’idée a déjà perdu de son impact. Mais pas que. Car à la lecture, on a furieusement l’impression que Geoff Johns n’arrive pas à se dépêtrer de son idée de départ. Ou qu’on lui ait demandé gentiment de changer ses plans. Du coup, Trois Jokers part sur idée pour mieux revenir dessus ensuite et partir sur une autre, avant au final de nous convaincre que tout cela n’avait pas beaucoup d’importance ! On a connu ligne directrice plus claire. Et je ne parle même pas de savoir si Trois Jokers est en continuité… Ces revirements aboutissent à cette impression constante qu’il va se passer quelque chose, d’important, mais que non, ça ne veut pas, ça ne vient pas. Et Trois Jokers de se terminer dans une indifférence polie.
Une overdose de Joker ?
Comme Batman, le Joker est partout ces dernières années. Au cinéma sous les traits de Joaquim Phoenix, mais aussi dans les comics, pour preuve le récent « Joker War ». Et rappelons qu’on sort d’une saga cataclysmique engendrée par l’arrivée d’un Batman qui Rit, hybride omnipotent de Batman et du Joker. Et le problème ne remonte pas nécessairement à ces dernières années : des Jokers, à bien y regarder, il y en a à foison ! Dès lors, faut-il craindre l’overdose ? Réponse : oui. Et cela joue forcément contre ce Trois Jokers puisque Geoff Johns suggère l’idée d’encore plus de Jokers ! Ad nauseam. Ce n’est pas comme si la galerie de vilains de Batman n’était pas parmi les plus étoffées des comics…
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(image © DC Comics)
Écrire un classique quoiqu’il en coûte ?
Pour finir, mon dernier sentiment concernant Trois Jokers, c’est que Geoff Johns essaie de produire à tout prix un classique, de positionner son travail à la hauteur d’œuvres de référence comme Un Deuil dans la famille ou Killing Joke. Hélas pour lui, Trois Jokers est loin d’être sa meilleure prestation. Idem pour Jason Fabok qu’on sent engoncé dans son gaufrier à 9 cases. Pire, Geoff Johns tente d’apporter des greffons à ces classiques, probablement pour préparer le terrain à de futures intrigues. Ce n’est pas tant qu’on vienne toucher à Killing Joke qui m’agace, après tout, le récit originel n’est pas modifié (contrairement à la version que DC Comics a censurée). Je peux le relire quand j’en ai envie. Mais j’ai bien l’impression qu’on m’a refourgué une mini-série globalement inutile qui ne sert qu’à annoncer une hypothétique suite (rendez-vous dans 5 ans ?). Au sein de Top Comics, je ne suis pas le seul à avoir été un peu agacé à la lecture de Trois Jokers. Parmi les moments à sauver, à noter une très belle planche sur le pardon et la rédemption entre 2 personnages emblématiques qui vient égayer une fin d’album qui manque de relief. C’est trop peu pour un Trois Jokers qui se rêvait classique en devenir. ■
Trois Jokers est un comics publié en France chez Urban Comics. Il contient Three Jokers 1-3.
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