Vers la Suicide Squad, le Peacemaker et Watchmen : une histoire des comics Charlton !

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inondation à Derby en 1955

 

Un ouragan qui révèle un esprit d’équipe inattendu

Tout semble fonctionner à merveille pour Charlton, mais le destin de la compagnie prend un tour véritablement tragique le 18 Août 1955, lorsque l’ouragan Diane frappe le Connecticut en faisant des centaines de victimes. La ville de Derby est sévèrement touchée et les locaux de Charlton se retrouvent en quelques heures sous des milliers de mètres cube d’eau, obligeant les employés à se réfugier sur les toits de l’usine afin d’être évacués par hélicoptère. Tout le matériel, dont les presses, est hors-service et la facture se monte à plus de 300 000 $. La question de savoir si Charlton peut redémarrer commence alors à hanter les esprits de tous les employés qui sous-estiment la volonté et la force de persuasion de Santangelo ! Ce dernier, qui vient d’obtenir des fonds spéciaux de la part du gouvernement fédéral, réunit tous ses collaborateurs sur le parking encore inondé de la compagnie et délivre un discours enflammé et poignant, assurant à tout le monde la reprise de l’usine le plus rapidement possible. Il réveille l’esprit de famille de l’entreprise et remonte le moral de ses employés. En contrepartie, il leur demande un effort financier, ne pouvant garantir que des rémunérations divisées par deux durant quelques mois. Giordano, payé 20$ la page à ses débuts et qui avait déjà vu son salaire passer à 13$ à la fin de l’année 1954 doit désormais se contenter d’une rémunération de 6.5 $ par planche. On pourrait penser que beaucoup d’artistes quittent la compagnie au plus vite, mais il n’en est rien. Tout d’abord, Santangelo a réussi à créer un véritable esprit d’équipe en faisant cohabiter tous les acteurs de sa compagnie. Ce n’est pas une entreprise classique avec un management froid et distant et l’ambiance est telle que personne n’envisage de partir. Au pire, certains artistes (comme Ditko et Giordano) réalisent des piges chez les autres éditeurs afin de compenser la baisse de leur salaire mais ils reviennent à temps complet chez Charlton lors de la chute d’ANC (American News Company). Au bout de quelques mois, les presses se remettent à fonctionner à plein régime et les artistes et scénaristes doublent leur production habituelle afin de récupérer leur rémunération de base. Gill et Giordano avoueront plus tard qu’à cette époque, la quasi-totalité des employés bâclaient leurs productions pour réaliser le plus de pages possibles, ce qui explique en grande partie la réputation de mauvaise qualité souvent associée aux comics Charlton.

 

Steve Ditko et Charlton

Il y a pourtant une exception, un artiste qui refuse de baisser la qualité de ses dessins pour toucher plus d’argent. Depuis son retour de maladie, Steve Ditko a vu les comics d’horreur disparaître et n’a pas eu d’autre choix que de se tourner vers la science-fiction, le fantastique et le western. Il passe son temps entre le Connecticut et New York, signant des planches de plus en plus soignées où son style abstrait, surréaliste et précis fait des merveilles. Il devient rapidement l’un des artistes les plus importants de la compagnie qui lui propose son premier personnage récurrent, un mystérieux voyageur qui introduit les histoires fantastiques du magazine Tales Of The Mysterious Traveller, une adaptation d’un show radio. Les titres s’accumulent et on voit le nom de l’artiste apparaître un peu partout. Il signe ainsi des couvertures et des épisodes dans les revues Outer Space, Space Adventures et même Black Fury qui raconte les aventures d’un pur sang dans un ranch Américain et dans lequel le dessinateur peut s’essayer au style animalier réaliste.

 

Retour au 1er plan

Beaucoup d’autres artistes licenciés par Lee viennent à cette époque (1957/1958) frapper à la porte de la compagnie du Connecticut afin de trouver du travail auprès de Pat Masulli et de Giordano, devenu assistant éditeur lors du départ d’Al Fago. Parmi les plus connus, on peut citer Joe Maneely, John Severin ou Al Williamson qui ne signent pourtant que quelques histoires et quittent rapidement la firme à cause de la trop faible rémunération à la page pratiquée par celle-ci. De plus, leur talent est tel que les grandes compagnies, voire les plus importants « syndicates » les rappellent au plus vite avec un meilleur salaire.

 

Un des créateurs de Superman pour plus de muscles

Même Jerry Siegel vient faire un petit tour dans l’usine de Derby en 1956, produisant le titre Mr Muscles, qui remplace Blue Beetle mais ne dure que deux numéros (Mr Muscles #22-23). Il faut dire que l’histoire (un catcheur qui obtient des superpouvoirs) est loin d’être originale et qu’il ne s’agit que d’une pâle copie de Superman. Siegel n’aura guère plus de chance avec son titre Zaza The Mystic (une diseuse de bonne aventure capable de voir l’avenir) qui ne reste elle aussi que deux numéros au sommaire de son propre magazine (Zaza The Mystic #10-11). Il faut dire que la numérotation plutôt hasardeuse des séries n’aide pas véritablement les fans à s’y retrouver, Santangelo préférant conserver des nombres élevés signe, selon lui, de la bonne santé du magazine.

 

Un coup de poker

Histoire de relancer sa production qui avait souffert après le passage de l’ouragan, Charlton tente une expérience ambitieuse en 1957 : elle passe le prix de ses comics à 15 cents en doublant le nombre de pages, promettant de fait un meilleur pourcentage sur les ventes à ses distributeurs. Cet essai se solde par un véritable fiasco et le prix (ainsi que le nombre de pages) retrouve son niveau initial au bout d’à peine quelques mois.

(Image : ©Charlton Comics/DC Comics)

L’arrivée de Captain Atom

Cette volonté de relancer sa production et ses ventes tient en réalité au fait que Charlton doit faire face à la chute de ses magazines musicaux, supplantés par la démocratisation de la télévision. La compagnie de Derby se tourne alors vers des magazines plus grand public comme les jeux ou l’astrologie afin de conserver ses bénéfices. Alors que National réinvente avec succès Flash et Green Lantern, Charlton propose dans les pages du magazine Space Adventures l’un de ses premiers super-héros maison : Captain Atom, crée en 1960 par Joe Gill et Steve Ditko.

 

Qui est Captain Atom ?

Captain Atom se nomme Allen Adam. C’est un capitaine de l’US Air Force spécialisé dans l’aéronautique et les fusées spatiales. Alors qu’il travaille sur un nouveau prototype de missiles nucléaires, il oublie son tournevis à l’intérieur de l’un de ses engins et se retrouve coincé dans la fusée lorsqu’il retourne le chercher. Catapulté dans l’espace, il est pulvérisé en petits morceaux lors de l’explosion du missile dans la haute atmosphère. Mais Adam n’est pas mort ! Par on ne sait quel miracle radioactif, il arrive à réassembler ses molécules sur Terre devenant ainsi Captain Atom, le héros atomique. Captain Atom possède de nombreux pouvoirs  : il peut non seulement voler, lancer des rayons, soulever des tonnes d’une seule main mais aussi contrôler sa densité pour traverser les murs. Seul revers de la médaille  : il est très radioactif et doit constamment porter un costume rouge et or qui lui permet de contrôler ses émissions involontaires de particules dangereuses. Si pour la grand public Allen Adam est mort, Captain Atom devient en revanche une arme incontournable pour les services secrets gouvernementaux. Captain Atom est publié (toujours dans Space Adventures) de mars 1960 à juin 1961 lors de courtes aventures d’environ 6 pages, ce qui ne permet pas aux auteurs de pouvoir développer un casting important, ni même de proposer des histoires élaborées sur la longueur. Le héros est donc constamment confronté à des extra-terrestres ou à des espions russes. Si le personnage de Captain Atom est assez secondaire et ses histoires franchement médiocres (en dépit du dessin), sa création est importante pour plusieurs points : non seulement il s’agit du tout premier super-héros dessiné par Steve Ditko quelques mois avant la publication de son Spider-Man par Marvel, mais elle sera de plus la principale inspiration d’Alan Moore pour le personnage du Dr Manhattan dans la série Watchmen en 1986.

 

(Image : ©Charlton Comics/DC Comics)

 

Les comics de monstres géants

Gill et Ditko vont ensuite connaître le succès avec deux adaptations de films de monstres, Gorgo et Konga qui sortent dans les kiosques à journaux avant même leur diffusion au cinéma. Ce n’est pas une surprise : non seulement les deux artistes ont pu travailler sur les scripts des films avant leur sortie mais ils ont aussi profité du fait que la finalisation d’une bande dessinée prend nettement moins de temps que celle d’un film. La première revue, Corgo, nous présente les aventures d’un gorille géant tandis que l’autre préfère nous narrer les pérégrinations d’un monstre (géant lui aussi) à la Godzilla. Ces deux succès surfent bien évidemment sur la mode du moment, les histoires de monstres dont la firme Atlas de Martin Goodman s’est depuis peu fait une spécialité. Konga reste dans les stands de 1960 à 1963 tandis que Gorgo achève sa publication en 1965 après 23 numéros.

 

Une compagnie qui compte, et qui met l’ambiance !

Durant la deuxième moitié des années 50, Charlton sort quasiment autant de comics que National sans en atteindre néanmoins les mêmes chiffres de vente. A son apogée, elle publie ainsi une quarantaine de comics par mois, qui viennent s’ajouter à une autre quarantaine de magazines de musique, de jeux ou de divertissements qui restent la principale source de revenus de la compagnie. L’ambiance dans les locaux est très différente de celle des autres firmes de comics, puisque Santangelo cherche avant tout à développer un réel esprit d’équipe au sein de sa compagnie, n’hésitant pas à utiliser ses murs pour organiser des soirées dansantes ou des réceptions festives avec son personnel. Les salaires sont bas mais le travail est régulier et abondant et surtout la paye tombe inévitablement à chaque fin de semaine. Alors que chez National la politique d’humiliation et de brimade instaurée par Mort Weisinger fait rage et qu’Atlas licencie à tour de bras, on comprend pourquoi la plupart des employés de Charlton ne cherchent pas à partir. Santangelo donne véritablement l’impression de vouloir les choyer. Il propose sans hésiter sa villa de vacances aux jeunes Giordano pour leur voyage de noces et n’hésite pas à faire tout son possible pour que tout le monde se sente « chez lui ». Il n’est pas rare de voir au détour d’un bâtiment Steve Ditko se livrer avec Giordano à des parties de tennis de table endiablées puisque des tables et des raquettes sont à disposition ou de tomber sur un dessin humoristique de Steve Ditko affiché sur un mur.

 

Un joyeux bazar mais qui fait des économies

L’usine de Derby est, si l’on caricature un peu, un joyeux bazar hétéroclite réunissant artistes, journalistes, chanteurs de passage, imprimeurs et commerciaux tous réunis loin du stress de la grande ville mais surtout une entreprise qui fonctionne et engrange des bénéfices conséquents. Si Santangelo ne lésine pas sur les conditions de travail, tout le reste est en effet prétexte à faire des économies. Charlton n’hésite pas, par exemple, à stocker dans un coin du terrain les plaques de métal utilisées pour l’imprimerie et qui ne servent plus à rien en attendant que leur cours à la bourse soit au plus haut pour mieux les revendre ! Si elle ne propose que très peu de comics de bonne qualité, son volume de production en fait la troisième ou quatrième compagnie de la fin des années 50.(suite de l’article page suivante)

 

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(image © Warner Bros Pict.)

 




A propos Doop 374 Articles
Doop lit des comics depuis une quarantaine d'années. Modérateur sur Buzzcomics depuis plus de 15 ans, il a écrit pour ce forum (avec la participation de Poulet, sa minette tigrée et capricieuse) un bon millier de critiques et une centaine d'articles très très longs qui peuvent aller de « Promethea » à « Heroes Reborn ». Il a développé une affection particulière pour les auteurs Vertigo des années 90, notamment Peter Milligan et Neil Gaiman.