Suzume : Makoto Shinkai revisite les traumatismes du Japon

Suzume et Sato devant une porte dans le film de Makoto Shinkai
Temps de lecture estimée : 3 min.

Après Your Name et Les Enfants du temps, le réalisateur Makoto Shinkai revient avec Suzume, nouveau carton au Japon. Le film est actuellement disponible sur Canal + myCanal.

Suzume, 17 ans, vit sur l’île de Kyûshû, au sud-ouest du Japon. Elle rencontre un mystérieux jeune homme, Sôta, qui lui révèle l’existence d’étranges portes par lesquelles une entité, le Ver, tente d’envahir notre monde. Chacune de ses intrusions provoque des séismes plus ou moins dévastateurs…

Suzume : une intrigue intime et universelle

J’ai retrouvé dans Suzume ce qui j’avais tant aimé dans Your Name et Les Enfants du temps : cette capacité qu’a Makoto Shinkai à entrelacer l’intime et le collectif, à rythmer élégamment des échelles qui vont du micro au macro. Un peu comme a pu le faire Christopher Nolan dans Interstellar, par exemple. Ici, la lycéenne Suzume doit donc à la fois arrêter les incursions du Ver tout en sauvant Sôta, le joli garçon pour qui elle en pince sérieusement dès le premier regard. Avec en fond un deuil lourd à porter puisque Suzume a perdu sa mère lors d’un séisme.

Tremblements de terre

De séisme, justement, il va être beaucoup question dans Suzume. Le film de Makoto Shinkai travaille cette peur de la destruction de masse et de l’extinction. Une terreur universelle mais évidemment spécifique aux japonais. Your Name et Les Enfants du Temps traitaient déjà de cet aspect (avec respectivement la chute d’une météorite et une inondation), mais avec Suzume, Shinkai l’aborde de manière frontale. Un autre réalisateur aurait fait de Suzume un film pesant voire même douloureux ; Makoto Shinkai choisit au contraire d’en faire un road movie réconfortant et coloré. Ainsi on s’attache facilement aux personnages bienveillants que Sôta et Suzume rencontrent au cours de leur périple à travers le Japon. Et par-delà le film distractif, le message délivré par Makato Shintai parle de la mémoire du passé ; qu’elle soit collective ou personnelle. Ici, les lieux abandonnés (parc d’attraction, village, et autres endroits autrefois vivants) font apparaître les portes (et donc le Ver) ; le souvenir de ces mêmes lieux permet de les refermer.

Communiquer pour réconcilier

L’une des obsessions de Makoto Shinkai, c’est la difficulté qu’ont ses personnages à communiquer à travers le temps et l’espace. Elle traversait ses précédents films et Suzume n’y coupe pas, mais prend un biais nouveau. Dans Suzume, plus que de communication, il est question de paix à retrouver et de réconciliation. De l’être humain avec le monde (via la mémoire), mais aussi des êtres humains entre eux (l’amour naissant entre Suzume et Sôta est un des moteurs de l’intrigue). Mais là où Makoto Shinkai innove cette fois-ci c’est qu’il nous montre aussi l’être humain se réconcilier avec lui-même. Trouver une paix intérieure salvatrice malgré la douleur et le deuil.

Un pur spectacle soutenu par une technique impressionnante

Toutes ces ambitions, je l’ai dit, auraient pu plomber totalement Suzume. Et bien non, il reste un pur film de spectacle et de divertissement qui fonce à 100 à l’heure et dont on ressort heureux. La maîtrise technique impressionnante de l’équipe du film permet une mise en scène incroyablement dynamique s’appuyant sur une utilisation de l’image de synthèse à un point rarement atteint dans un anime. Et même sans cette maîtrise technique, Suzume prend des contrepieds étonnants. Le cliché du héros « beau gosse » est ainsi détourné au bout de quelques minutes : victime d’une malédiction, Sôta est transformé en… chaise pour enfant, « corps » surprenant, et peu pratique, qu’il va conserver tout au long du spectacle. Dans le même registre, le petit chat mignon habituellement sidekick des héros, rigolo mais accessoire, s’avère être un dieu qui enchaîne catastrophe sur catastrophe.

Suzume est-il l’apogée de la carrière de Makoto Shinkai ? Je le pensais déjà avec Your Name. À l’idée qu’il puisse faire mieux que Suzume, et Makoto Shinkai semble encore capable de nous surprendre, je serai au rendez-vous de son prochain film.

Stéphane LE TROËDEC




A propos Stéphane Le Troëdec 631 Articles
Stéphane Le Troëdec est spécialiste des comics, traducteur et conférencier. En 2015, il s'occupe de la rubrique BD du Salon Littéraire. Ses autres hobbys sont le cinéma fantastique et les jeux. Enfin, et c'est le plus important : son chiffre porte-bonheur est le cinq, sa couleur préférée le bleu, et il n’aime pas les chats.