Au vu de ce titre un peu mensonger, je vois déjà les yeux se lever au ciel : « encore un article sur la sous-représentation des minorités ou le féminisme ? Y a pas autre chose à raconter sur les comics ? ». Si, plein de choses… notamment sur le fait que ces derniers restent encore un medium capable de proposer des histoires totalement différentes… tant que le cinéma et les séries n’y mettent pas leur grain de sel !
■ par Doop
Je suis l’un des 1ers à me plaindre sur le fait que l’on est en train de perdre l’esprit des comics comme je l’explique dans mon précédent billet d’humeur. Mais concrètement, c’est quoi « l’esprit des comics » ? Est-ce que c’est ce « sens du merveilleux » qui nous faisait rêver quand nous étions jeunes et que nous ne pensons plus retrouver aujourd’hui ? Est-ce que ce sont, au contraire, des comics engagés et porteurs d’un message social ou politique fort, ces fameux principes de réalité ? Non. Ni l’un ni l’autre. Et mettre ces 2 points de vue en opposition me semble une grave erreur. J’irai même encore plus loin, les comics réalistes, tout comme les comics proposant du merveilleux, n’existent tout simplement pas ! Il s’agit juste d’auteurs qui donnent leur point de vue et qui tentent de raconter une histoire de la meilleure des manières possibles. À mon sens, l’esprit comics c’est tout simplement partir d’un constat bien établi depuis des années, d’un personnage qui possède un cahier des charges bien défini et essayer de le tordre au maximum tout en restant dans les clous. Donner une profondeur honnête et intelligente, un point de vue nouveau et original qui tranche mais ne rompt pas avec ce qui a été fait avant. Respecter le travail de ses prédécesseurs. Le réalisme, le sens du merveilleux dans les comics, finalement on s’en moque, ce qui compte c’est d’y trouver de la passion.
Les comics réalistes sont une vision de l’esprit
Soyons honnêtes 2 secondes, c’est quoi un comics « réaliste » ? Watchmen ? La bande dessinée où un poulpe géant vient s’écraser sur New York ? Sandman et la lignée de titres Vertigo des années 90 ? Vous vous rappelez de la ligne Vertigo : ces comics où une peinture tente de manger la ville de Paris et où Shakespeare joue Le songe d’une nuit d’été devant les propres personnages de sa pièce. Personnages étant d’ailleurs directement issus de la dimension des rêves. Vachement cohérent avec un principe de réalité ! Attention à ne pas confondre réalisme et psychologie de bazar. Prenez un titre comme Superman. Le personnage existe depuis presque 80 ans et il a tout connu ! Et c’est à mon sens celui qui définirait le plus le fameux « sens du merveilleux ». Est-il moins merveilleux, plus réaliste qu’avant ? Absolument pas. Les 1ers épisodes de Jerry Siegel et Joe Shuster le mettent aux prises avec un patron véreux, un politicien corrompu et un mari violent. Tout ce qui fonctionnerait à merveille aujourd’hui. En 1939 ! C’est nettement plus réaliste que la plupart des épisodes des années 2000 signés Joe Kelly ou Jeph Loeb. D’ailleurs, si vous voulez du « merveilleux », je vous conseille cette petite pépite qu’est Action Comics 761 (Joe Kelly et Kano). Derrière une couverture assez immonde de Dwayne Turner se cache un petit bijou où en 24 pages seulement les auteurs définissent de manière canonique l’amour de Clark pour Loïs et font le point sur son attirance pour Wonder Woman. Plus merveilleux que ça, ça n’existe pas. C’est l’une de mes histoires préférées. Tout comme La biographie officieuse de Lex Luthor (pas la grosse bouse de Brian Azzarello et Lee Bermejo, non le superbe récit de James D. Hudnall et Eduardo Barreto). Dans cette histoire, on voit Clark Kent confronté à un piège plus que réaliste, que tous les pouvoirs de Superman ne peuvent résoudre ! Les 2 artistes nous proposent par la même occasion une version assez glauque des origines de Lex Luthor. J’aime les 2 histoires, il n’y a aucune opposition ! Tout simplement parce que les auteurs ont livré le meilleur moyen de raconter ce qu’ils voulaient exprimer. Et qu’ils l’ont fait de manière honnête.
Le problème : le cynisme et l’argent
Et pourtant, je ne supporte pas le traitement de Superman au cinéma récemment, voire même certaines histoires récentes. Sur les comics actuels, j’ai un constat assez limpide : la grande majorité des titres sont totalement insipides. Mais pas parce qu’ils sont réalistes. Juste parce qu’ils tombent dans la facilité et une certaine envie de plaire à tout prix à des lecteurs faignants (dont je peux parfois faire partie). Nous nous trouvons dans une époque où il faut faire le buzz à tout prix. Et cela entraîne des décisions complètement absurdes et totalement cyniques. Comme un Superman qui rase une ville pendant un combat et qui se fout des victimes : parce qu’une grande partie des spectateurs (qui se moquent des comics comme de leur 1re chemise) vont trouver ça super cool… On peut choisir une approche totalement différente, vouloir donner un point de vue original mais ce n’est absolument pas le cas ici, c’est juste pour faire venir le plus de monde possible. Il faut respecter le cahier des charges : Superman ne tue pas, Superman est un personnage plein de compassion, Superman, c’est Clark Kent avant d’être Kal-El, c’est un dieu qui veut être un homme, pas un dieu qui agit comme un dieu. Et ce n’est pas MA vision. C’est celle du concept de base. Qui peut évoluer, certes, mais pas à des fins mercantiles. Vous voulez du Superman trash ? Il y a The Boys pour ça !
La suite ? Tout de suite !