Dans un rayon de soleil : un monde sans hommes mais pas sans amour [avis]

(image © Tillie Walden)
Temps de lecture estimée : 6 min.

Avec Dans un rayon de soleil, Tillie Walden imagine un récit mêlant love-story et science-fiction se déroulant dans un univers dont l’homme est totalement absent. Une pure merveille.
■ par Fletcher Arrowsmith

 

Mia vient d’être embauchée pour rénover des structures architecturales éparpillées à travers l’espace. Sortant tout juste de l’école, elle apprend le monde du travail et découvre la vie en collectivité avec les 4 autres membres de l’équipage. Elle va surtout passer dans le monde des adultes en partant à la recherche de Grace, son amour de jeunesse à qui elle n’a jamais pu dire au revoir…

 

(image © Tillie Walden)

 

Qui est Tillie Walden ?

Tillie Walden, l’auteure de Dans un Rayon de Soleil, est une jeune artiste américaine, qui a été à l’école et a été patineuse. Pendant l’été 2018 le monde entier découvre le génie de Tillie Walden quand elle remporte pour Spinning un Eisner Award, l’équivalent des Oscars pour la bande dessinée. Spinning est une autobiographie qui raconte la jeunesse de Tillie Walden partagée entre l’école, l’exigence du patinage haut niveau et ses 1ers émois amoureux pour des filles. Publiée en France chez Gallimard, l’histoire raconte le passage à l’âge adulte d’une jeune fille en perte de repère, qui va découvrir la fin de l’âge de l’innocence. Auteure complète, Tillie Walden écrit et dessine Spinning, tout comme Dans un Rayon de Soleil.

 

(image © Tillie Walden)

 

Deux ne font qu’un

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La structure narrative de Dans un rayon de Soleil joue avec le chiffre 2. C’est tout d’abord 2 timelines puisqu’on suit les aventures de Mia au présent avec des flashbacks sur sa rencontre avec Grace pendant ses années lycée. C’est également une grande histoire d’amour, celle de 2 êtres qui se sont trouvés et dont la passion va traverser l’espace et le temps. Car Mia sans Grace est comme un être inabouti. Deux encore car dans une 1re partie, Tillie Walden installe son histoire en nous donnant les éléments de compréhension. Mais, comme dans un puzzle dont on n’a pas l’image, on a du mal à assembler tout cela. La force d’un tel récit réside justement dans cette progression continue. Le lecteur est mis à contribution dans la résolution des histoires. Ainsi quand Mia décide à se mettre à la recherche de son âme sœur, c’est tout le roman graphique qui s’accélère dans une 2nde partie qui inverse toute la structure narrative lue jusqu’à alors. Moins de texte, des enchainements de cases pour souligner l’urgence des situations, moins de texture de couleurs, des décors plus abruptes pour renforcer la dureté de l’atmosphère et le chaos ambiant et surtout moins de flashback, du moins ces derniers étant surtout racontés par les protagonistes. Le lecteur est récompensé dans la 2nde partie de Dans un Rayon de Soleil car il découvre que ce n’est pas que l’histoire de Mia et Grace, mais c’est aussi celle de Elliot ou de Julie. Personnages au départ secondaires, Elliot et Julie vont se révéler et nous découvrons alors toutes les pistes qui avaient été lancées dans la 1re partie. Tillie Walden sait raconter une histoire et elle nous le prouve dans ce roman graphique ambitieux qui fait la part belle aux secondes chances.

 

(image © Tillie Walden)

 

Un monde au féminin

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Un des attraits et atouts de Dans un rayon de Soleil, c’est l’absence de personnage 100% masculin tout le long du récit. Choix assumé par Tillie Walden dans sa façon d’écrire car l’auteure n’évoque même pas les hommes. En fait on peut même se demander si les hommes ont existé dans cet univers original. Bien évidemment, pour ceux qui ont dévoré et apprécié Spinning, on peut y voir l’expression de l’homosexualité de Tillie Walden et ses convictions personnelles. Les hommes ne sont jamais évoqués dans un univers fantastique où la notion de couple a parfaitement sa place. Cela exprime notre confrontation face à une histoire d’amour avant tout. Tillie Walden transcende le genre et remet l’amour avec un grand A au centre du débat. Deux passages illustrent cette partie prise forte et passionnante :
– Grace et Mia vont faire leur prom, le bal de fin d’année, marqueur de la scolarité américaine dont est issu Tillie Walden. Et un des personnages se pare d’une magnifique robe tandis que l’autre porte un smoking comme un couple standard dans notre réalité.
– L’ambiguïté du personnage d’Elliot, qui veut que le pronom personnel qui lui est associé soit « iel » car Elliot n’est ni « il » ni « elle ». D’ailleurs l’intrigue autour de son passé trouble, semble inverser le péché originel de la femme au jardin d’Eden. Comme si « Iel » était l’Adam dans un royaume d’Eve(s).
De tout façon le chat s’appelle Paul, prénom à priori masculin, donc messieurs, oui nous existons mais chez les félidés !

 

(image © Tillie Walden)

 

Un récit de science fiction à l’imagination débordante

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Graphiquement Dans un rayon de soleil porte haut les couleurs de la science-fiction. Tillie Walden ne cesse d’inventer et réinventer un univers onirique en constant mouvement. Elle multiplie les concepts, dans un univers qui prend vie devant nos yeux en laissant ce qu’il faut de flou et de folie pour nous faire rêver.  On pense bien évidemment aux univers de Neil Gaiman ou Hayao Miyazaki. Mais ce qui m’a plu c’est cette impression de connaitre sans savoir. L’équipe de Mia sont des explorateur-restaurateur d’antiquité-planète. On innove dans la définition en partant d’une base connue du lecteur. Graphiquement cela permet d’associer des délires graphiques, mal définis mais abstractifs et oniriques. Dans un Rayon de Soleil c’est l’imagination au pouvoir. Tillie Walden conçoit, assure le design et met en image un univers qui se crée au fur et à mesure que l’on tourne les pages. On ne sait jamais sur quoi on va tomber comme avec le Lux, épreuve sportive de course de navettes en forme d’auto tamponneuses où il faut récupérer des centaines de mini planètes. Du moins je l’ai compris comme cela. Originellement publié sous forme de web comics, Tillie Walden prend le partie d’une palette de couleurs réduite, accentuant par touche chaude ses planches pour souligner la dramaturgie d’une situation ou mettre en évidence un élément du décor. Dans un rayon de soleil est bluffant dans sa conception graphique avec un minimalisme assumé où avec peu Tillie Walden fait beaucoup laissant son imagination déborder, sans frontière comme dans l’espace infinie.

 

(image © Tillie Walden)

 

Une histoire d’amour magique d’une richesse infinie

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Dans un Rayon de Soleil
est une pure merveille. Un petit bijou graphique passionnant plein de douceurs bienvenues dans un environnement violent. C’est surtout une love story de 1re classe, pour reprendre l’expression du chanteur Grand Corps Malade, transcendant l’espace temps, mélange de tranches de vis où chaque personnage prend vie devant nos yeux emportés dans une explosion graphique magique. Tillie Walden est une magicienne. Avec peu de couleurs, peu de détails, elle nous transporte littéralement avec un dosage époustouflant de douceurs, de rythme, de rebondissements, de décors improbables, de cris mais surtout de larmes car l’amour, qu’est-ce que c’est beau quand même.

(image © Tillie Walden, Gallimard)

Dans un rayon de soleil de Tillie Walden est publié en France chez Gallimard et comporte 544 pages. Disponible sous forme de web comics, c’est chez First Second que vous trouverez le récit de Tillie Walden en VO. ■