Wolf-Man, tome 1 : une relecture sombre et cruelle du mythe du loup-garou par Robert Kirkman

Wolf-Man
Temps de lecture estimée : 4 min.

Sous son titre un peu trompeur, Wolf-Man cache un comics bien plus retors qu’un simple récit de loup-garou bodybuildé. Publié chez Delcourt, ce premier tome de Wolf-Man compile les épisodes 1 à 12 de la série imaginée par Robert Kirkman et mise en images par Jason Howard, dans l’univers partagé d’Invincible. Et la promesse est claire dès les premières pages : raconter une origin story de super-héros, oui, mais en la sabotant méthodiquement. Qui est Wolf-Man ? Un héros ? Un monstre ? Une erreur de casting dans un monde qui ne fait déjà pas beaucoup de cadeaux. Et surtout, jusqu’où peut-on utiliser la malédiction du lycanthrope pour faire le bien sans tout faire exploser autour de soi.

Wolf-Man, ou comment rater parfaitement sa vie héroïque

Gary Hampton avait tout pour lui. PDG respecté, mari aimant, père attentif. Le genre de type qui coche toutes les cases du rêve américain, sans trop forcer. Jusqu’au jour où des vacances au camping et en famille tournent court et qu’une attaque de loup-garou vient pulvériser ce bel équilibre. Wolf-Man ne perd pas de temps : la morsure arrive vite, la transformation aussi, et Robert Kirkman joue immédiatement la carte du super-héros rationnel. Gary ne sombre pas dans la folie, il cherche à comprendre, à contrôler, à canaliser. Mauvaise idée. Dans Wolf-Man, chaque bonne intention semble condamnée à produire l’effet inverse (rappelant par moment un certain… Peter Parker). Et plus Gary essaie de bien faire, plus la machine s’emballe.

Zechariah, mentor toxique et vampire trop poli pour être honnête

Impossible de parler de Wolf-Man sans évoquer Zechariah, le vampire qui s’impose comme guide spirituel et tactique du héros. Sous ses airs de mentor bienveillant, ce personnage est l’un des plus beaux vilains écrits par Robert Kirkman. Tout chez lui respire la manipulation tranquille, le conseil qui sonne juste mais qui mène droit dans le mur. Il apprend à Gary à utiliser ses pouvoirs, à devenir un justicier nocturne, tout en tirant les ficelles en coulisses. Le rapport entre Wolf-Man et Zechariah est le cœur empoisonné de ce tome 1 : une relation fondée sur la confiance, puis sur la trahison, puis sur une spirale de violence impossible à enrayer…

Un drame familial qui refuse toute consolation

Ce qui distingue vraiment Wolf-Man d’un comics de super-héros classique, c’est sa brutalité émotionnelle. Robert Kirkman n’a jamais été un auteur tendre, mais ici, il s’acharne. La cellule familiale de Gary explose en plein vol, et pas de façon héroïque ou sacrificielle. C’est gore (parfois), injuste et brutal. La mort traumatisante de Rebecca Hampton marque un point de non-retour absolu, et la série ne cherche jamais à l’adoucir tant d’un point de vue graphique que psychologique. Le quotidien de Wolf-Man bascule complètement et ses relations avec son entourage sont totalement transformées. Le monde entier le condamne, et dès lors même ses victoires ont un goût amer. On est très loin du fantasme de puissance habituel : ici, être fort ne sert surtout à rien, s’avère plus une malédiction qu’autre chose.

Wolf-Man et l’univers partagé : richesse ou distraction ?

Ce tome 1 de Wolf-Man s’inscrit clairement dans l’univers étendu d’Invincible, avec apparitions de personnages secondaires, organisations gouvernementales douteuses et mythologie surnaturelle en expansion. Robert Kirkman adore construire des écosystèmes narratifs, et cela se sent. Par moments, cette ouverture enrichit le récit, notamment lorsqu’il est question de la lignée des loups-garous ou des tensions entre créatures surnaturelles. À d’autres moments, on sent poindre une volonté d’élargir un peu vite, au risque de diluer l’intime. Rien de rédhibitoire, mais le lecteur sent que certaines pistes sont encore à l’état de promesse, pas toujours pleinement exploitées dans ce premier volume.

Le dessin de Jason Howard, efficacité avant esbroufe

Graphiquement, Wolf-Man repose entièrement sur le travail solide et lisible de Jason Howard. Son dessin n’a rien de spectaculaire au premier regard, mais il sert parfaitement le propos. Les transformations sont brutales, les scènes d’action claires, et surtout les expressions faciales racontent énormément. Howard excelle dans les moments de tension domestique, les silences lourds, les regards fuyants. La colorisation, volontairement sobre, renforce cette ambiance de tragédie moderne. Ce n’est pas un comics qui cherche à en mettre plein les yeux, mais plutôt à accompagner le lecteur dans une descente progressive et inconfortable.

Wolf-Man, une origin story à rebours

Au final, ce premier tome de Wolf-Man fonctionne comme une anti-origin story. Là où d’autres héros naissent dans la douleur pour ensuite s’élever, Gary Hampton s’effondre à mesure qu’il comprend l’ampleur de sa naïveté. Wolf-Man raconte moins la naissance d’un héros que la fabrication d’un coupable idéal. C’est sombre, souvent désespéré, parfois frustrant, mais rarement banal. Un comics imparfait, mais profondément honnête, qui préfère poser des questions inconfortables plutôt que d’offrir des réponses rassurantes. Et quelque chose me dit que la reconstruction de Gary, si elle existe, sera longue. Très longue.

Wolf-Man tome 1 est un comics publié en France par Delcourt. Il contient : The Astounding Wolf-Man 1-12.




A propos Stéphane 788 Articles
Stéphane Le Troëdec est spécialiste des comics, traducteur et conférencier. En 2015, il s'occupe de la rubrique BD du Salon Littéraire. Ses autres hobbys sont le cinéma fantastique et les jeux. Enfin, et c'est le plus important : son chiffre porte-bonheur est le cinq, sa couleur préférée le bleu, et il n’aime pas les chats.