Gerard Way présente Doom Patrol : quand le scénariste d’Umbrella Academy passe à côté de son sujet

Doom Patrol gerard way
(image © DC Comics)

Gerard Way présente Doom Patrol confirme que réaliser ses rêves n’est pas toujours une bonne idée. Plutôt qu’un hommage, ce comics s’apparente à une fanfiction moyenne, surfant sur les idées bizarres de la série des années 80 sans jamais atteindre la qualité du travail de Grant Morrison. Mal écrit, Gerard Way présente Doom Patrol ne doit en fait son salut qu’à des dessins splendides.
■ par Doop

 

Doom Patrol gerard way
(image © DC Comics)

 

Le rêve d’enfance de Gerard Way tourne au cauchemar

Dans la longue introduction de Gerard Way présente Doom Patrol (et la postface encore plus longue), le scénariste nous répète à l’envie que Doom Patrol de Grant Morrison est l’une de ses séries préférées. Elle a changé sa vie. En prenant en main le destin de cette équipe, c’est un véritable rêve d’enfant qui se réalise. Gerard Way est avant tout connu pour être le leader du groupe de rock My Chemical Romance. Il a connu un succès d’estime avec Umbrella Academy, récemment adaptées pour la télévision. Comme l’industrie des comics adore inviter des personnalités connues pour écrire leurs histoires plutôt que de les confier à des scénaristes confirmés, on a proposé à Gerard Way de carrément créer un label pour DC Comics. Young Animals reprendrait le ton éditorial de la défunte ligne Vertigo. Ce dernier est donc devenu l’architecte d’une petite structure au sein de DC proposant des titres étranges comme Shade The Changing Girl ou encore Cave Carson has a Cybernetic Eye. Doom Patrol en est la tête de gondole. Le pari était risqué et s’est très vite transformé en échec, la plupart des titres ne dépassant pas la douzaine de numéros. Pourtant, confier Doom Patrol à Gerard Way faisait sens. Même si je n’ai pas été du tout impressionné par Umbrella Academy, l’auteur nous prouvait dans ce titre qu’il pouvait développer une histoire un peu étrange, avec des personnages assez décalés. On le disait à l’époque, Umbrella Academy pouvait sans problème passer pour un ersatz de la Doom Patrol. Franchir le pas pouvait donc sembler logique. Malheureusement, Gerard Way n’est pas un scénariste confirmé puisqu’il a dû écrire en tout et pour tout une douzaine de comics. Pire encore : il essaye de se frotter à la référence absolue sur ce titre, Grant Morrison ! Plantage scénaristique total !

 

Doom Patrol gerard way
(image © DC Comics)

 

Une pâle copie de la Doom Patrol de Vertigo

Reprenons du début. Doom Patrol est une série bizarre, avec un casting étrange dès sa création dans les années 60 par Arnold Drake et Bruno Premiani. D’ailleurs, il y a toujours un débat pour savoir si ce sont les X-Men de Stan Lee qui ont influencé la Doom Patrol ou l’inverse (sincèrement, je ne suis pour aucune des deux hypothèses). Reprise dans les années 80, la série passe rapidement entre les mains de Grant Morrison, qui en fait une ode au surréalisme et une métaréflexion sur les comics. Les scenarii de Grant Morrison sont complètement absurdes, bizarres, avec des vilains totalement improbables et des intrigues farfelues (« la peinture qui a mangé Paris »). Mais dire uniquement cela du run de Grant Morrison sur Doom Patrol ne serait pas non plus lui rendre justice. Car tous les personnages de la série vivent, ont des conflits intérieurs et évoluent. Même si cela peut sembler parfois cryptique, tout ce qui se passe constitue le socle de définition de la série. C’est d’ailleurs la seule version qui trouvera grâce aux yeux de son créateur original, Arnold Drake. Et dans ce volume de Gerard Way présente Doom Patrol, le scénariste fait tout ce qu’il ne faut pas faire quand on veut rendre un hommage. En effet, tel un enfant qui aurait été privé de friandises, se retrouverait dans une confiserie et se goinfrerait à en vomir, Gerard Way empile les hommages, les concepts bizarres et les personnages du run de Grant Morrison jusqu’à plus soif. Et sans véritable plan.

 

Doom Patrol gerard way
(image © DC Comics)

 

De grosses faiblesses scénaristiques

Gerard Way est victime d’un concept trop difficile pour lui. Il propose donc des situations bizarres, fait revenir des personnages emblématiques du passé, Mr Nobody ou Danny The Street, et arrose tout cela d’une narration décousue, d’évènements et de situations improbables (une brique qui pense, des chats transformés en humains qui couchent avec leur maître). Si l’on ne peut absolument pas nier l’énergie et la volonté de proposer quelque chose, ni même l’adoration de Gerard Way pour Grant Morrison, les concepts qui nous sont définis dans Gerard Way présente Doom Patrol tombent totalement à plat. Globalement, l’équipe se réunit autour d’une ambulancière bizarre qui a des affinités certaines avec son véhicule afin de sauver la réalité. Et cela ne fait pas sens. Certains épisodes de G. Morrison non plus pourra-t-on rétorquer, sauf que ces derniers intégraient réellement une philosophie, ce qui n’est pas le cas ici. C’est mal écrit, certains dialogues sont totalement abominables et lorsque Gerard Way essaye de faire dans le message sociétal, il le fait très lourdement. Sincèrement, lorsque la moitié du récit tourne autour d’un produit nocif pour la réalité qui s’appelle la M€®D€ (avec cette orthographe) avec tous les jeux de mots foireux qui l’accompagnent (« Mangez de la M€®D€ », « Mais c’est de la M€®D€ en boîte », j’en passe et des meilleures), on se dit que G. Way tombe totalement à côté de la plaque. En nous livrant un récit qui accumule les bizarreries et l’étrange pour l’étrange, des dialogues catastrophiques et une histoire totalement alambiquée et finalement assez lourde, on n’est vraiment pas loin du tout de l’accident industriel. Gerard Way ne sait pas écrire sur la durée et la plupart de ses idées tombent à plat ou se révèlent sans intérêt à moyen terme comme le chat-humain qui parle comme une caillera et dont je ne comprends pas l’existence ou encore un monstre baveux qui ne sait dire que « Côlin » ! Comme pour se justifier, Gerard Way conclut son récit en le ramenant au statut de fanfiction. Je pense que certains amateurs auraient fait nettement mieux. Heureusement il reste les dessins.

 

Doom Patrol gerard way
(image © DC Comics)

 

Nick Derrington sauve Doom Patrol

Plutôt que d’appeler ce volume Gerard Way présente Doom Patrol, Urban Comics (qui au passage livrent encore une superbe édition avec de nombreux bonus) aurait dû le nommer Nick Derrington sauve Doom Patrol. Il faut dire que ce dessinateur adepte de la ligne claire arrive à sublimer tous les concepts que Gerard Way lui propose et que chaque planche est un régal pour les yeux. Il arrive à rendre tout limpide et se fait véritablement plaisir avec une avalanche de détails, de petits détails qui rendent finalement la lecture du livre au moins agréable à l’œil. Les couleurs de Tamra Bonvillain sont parfaites et conviennent totalement. Et quand Nick Derrington laisse la place à un autre artiste, c’est tout simplement Mike Allred qui prend le relais. Je ne sais pas si les seuls dessins peuvent constituer un argument pour l’achat de ce gros livre, mais c’est en tout cas excellent. ■

Doom Patrol gerard way
(image © DC Comics)

Gerard Way présente Doom Patrol, tome 1 est un comics publié en France par Urban Comics.

 

À LIRE AUSSI : Doom Patrol, volume 1 : quand Grant Morrison traçait la voie du bizarre sublime et passionnant

Doom Patrol Grant Morrison
(image © DC Comics)




A propos Doop 374 Articles
Doop lit des comics depuis une quarantaine d'années. Modérateur sur Buzzcomics depuis plus de 15 ans, il a écrit pour ce forum (avec la participation de Poulet, sa minette tigrée et capricieuse) un bon millier de critiques et une centaine d'articles très très longs qui peuvent aller de « Promethea » à « Heroes Reborn ». Il a développé une affection particulière pour les auteurs Vertigo des années 90, notamment Peter Milligan et Neil Gaiman.