Urban Comics profite de l’arrivée de Doom Patrol sur Syfy pour proposer le 1er volume du passage de Grant Morrison sur la série… Enfin ! Un inédit qui offre une parfaite occasion pour découvrir une série puissante, encore dans l’air du temps après avoir tracé une voie unique. Une passionnante ode à l’imaginaire bizarre.
■ par Ben Wawe
Attention, ne pas confondre Doom Patrol, volume 1, chroniqué sur cette page, avec l’album Gerard Way présente Doom Patrol sorti lui aussi au mois d’octobe 2019.
La (trop) méconnue Doom Patrol
Doom Patrol n’est pas une série populaire ou connue. Elle commence en 1963 et s’arrête en 1968, avec le choix du créateur de tuer son équipe après l’annonce de l’annulation. Doom Patrol est relancée en 1977, avec de nouveaux personnages comme Joshua Clay/Tempest, et uniquement Robotman comme membre original. Ce pilote de course dont le cerveau a seul tenu après un accident automobile anime un corps mécanique, et survit à la mort de ses proches. L’auteur Paul Kupperberg relance une série en 1987. Mais le titre périclite, au point que DC tente un coup : y placer un membre de la fameuse invasion britannique !
Relance anglaise
Les années 80 voient plusieurs révolutions en comics, notamment l’arrivée massive d’auteurs de Grande-Bretagne à la tête de séries américaines. Particulièrement des scénaristes, comme Alan Moore sur Swamp Thing en 1983, Jamie Delano sur Hellblazer en 1988, Neil Gaiman sur Black Orchid en 1988 puis Sandman en 1989. Mais aussi Grant Morrison, sur Animal Man en 1988 et surtout Doom Patrol en 1989. Cette dernière profite pleinement de cette relance, pour devenir un titre incontournable et plonger dans la « Weird SF », science-fiction bizarre et passionnante.
Une reprise brutale et troublante
Urban Comics commence intelligemment son volume avec un numéro spécial, illustré par le légendaire John Byrne, où Paul Kupperberg retrace l’historique de la Doom Patrol. Utile, car Grant Morrison révolutionne la série dès son arrivée. Il profite d’un évènement éditorial et demande que plusieurs personnages du groupe y meurent avant son arrivée, pour changer autant les règles que les joueurs. Robotman demeure au centre de la série, le Chef dirige, mais le reste évolue. Joshua Clay cesse d’être un superhéros. Negative Man n’est plus le pilote Larry Trainor, mais la fusion de Larry et de la Docteure Eleanor Poole. Ils forment un être autonome, unique, autant masculin que féminin, appelé Rebis (définition alchimique d’une grande œuvre). Robotman soigne sa dépression en aidant Crazy Jane, jeune femme perturbée par 64 personnalités (!), toutes dotées de superpouvoirs. Arrive également Dorothy Spinner, étrange jeune fille avec des amis imaginaires capables d’agir dans le réel.
Une « non-équipe » face à l’impossible
Grant Morrison révolutionne les thèmes de la série. Le britannique confronte son groupe à l’étrange, en poussant jusqu’au bizarre ; la folie. Doom Patrol est moins une équipe de superhéros, type Avengers ou Justice League, qu’un groupe de personnages fracturés par la vie. Ils sont confrontés à des éléments qui en rendraient d’autres fous, et arrêtent leurs ennemis grâce à leurs propres psychoses. Grant Morrison multiplie les oppositions dans ce 1er volume, avec d’abord les Hommes-ciseaux issus d’Orqwith, ville issue du Livre Noir. Une création de l’imaginaire qui devient réalité par elle-même. La Doom Patrol combat ensuite Red Jack, qui serait Jack l’Éventreur. Arrivent ensuite Monsieur Personne et la Confrérie du Dada, qui piègent Paris dans un tableau maudit ; où le Cinquième Cavalier de l’Apocalypse est caché. La Secte du Livre Inachevé entend libérer le Décréateur, l’opposé de dieu, sur ordre des Archontes de Nürnheim, cité maléfique remplie de troupes horrifiques. La Doom Patrol ne relève pas de défis héroïques, en fait : elle plonge et s’immerge définitivement dans l’impossible !
Une lecture intense
Le 1er volume de Doom Patrol est composé d’un numéro spécial et de 16 épisodes extrêmement dynamiques et prenants. Grant Morrison est généreux dans ses oppositions, mais aussi dans les principes qu’il déplie, inspirés de lectures précises et philosophiques. Des tonnes de concepts fous émaillent ses numéros, notamment dans le final contre la Secte du Livre Inachevé. Grant Morrison s’amuse à créer des dizaines de créatures terrifiantes. Mais il ne s’arrête pas au décorum monstrueux. L’auteur aborde des sujets terribles, comme l’acceptation de la différence de Rebis, sujet encore contemporain en 2019. Ou surtout le drame absolu qui créé les 64 personnalités de Crazy Jane, avec une passionnante plongée dans sa psyché par Robotman (superbe idée d’un « métro » pour aller d’une personnalité à l’autre). On croise enfin le Cerveau et Mr Mallah, vieux ennemis qui vivent une relation surprenante et poétique. Ce 1er volume de Doom Patrol impressionne par l’ampleur de ses idées, le dynamisme de ses numéros, mais aussi la maitrise de ses sujets. Grant Morrison va loin, tape fort et surtout juste. Robotman demeure traumatisé par son absence de corps humain, mais il incarne idéalement l’œil d’un lecteur surpris et grisé par les évènements.
Doom Patrol : une œuvre passionnante et émouvante
Urban Comics comble avec brio l’absence d’édition française de la Doom Patrol de Grant Morrison. Richard Case illustre la quasi majorité des numéros, dans un style sobre et efficace, bien que peu excitant. Doug Braithwaite à ses débuts le remplace pour 1 numéro. Les planches sont lisibles, l’action est fluide. On aurait pu rêver d’un graphisme plus choquant ou révolutionnaire, mais cela permet de s’attacher aux idées et aux émotions. Ces personnages rongés et brisés deviennent familiers après lecture, on a hâte de les retrouver… avec leur monde si choquant, si troublant, si passionnant ! ■
Doom Patrol, volume 1 est un comics publié en France chez Urban Comics.