Daredevil : End of Days – Le testament noir du Diable de Hell’s Kitchen (critique)

Temps de lecture estimée : 5 min.

Matt Murdock est mort. Fini. Expédié six pieds sous terre à coups de matraque par Bullseye en pleine rue. Hell’s Kitchen n’a plus de justicier. Mais juste avant de claquer pour de bon, Daredevil murmure un mot : « Mapone ». Et forcément, ça intrigue du monde. Notamment Ben Urich, journaliste vétéran du Daily Bugle, qui va se lancer dans une enquête poisseuse pour comprendre ce qui a bien pu se passer…

Là où Brian Michael Bendis et David Mack prennent tout le monde à contre-pied, c’est que ce n’est pas un récit de Daredevil. Ou du moins, pas au sens classique du terme. Matt Murdock, c’est un fantôme, une légende dont l’ombre plane sur chaque page, mais qu’on ne suit pas directement. À la place, on a Ben Urich, un journaliste intègre vieillissant, fatigué, qui remonte le fil d’une tragédie en interrogeant les figures du passé de Daredevil. Ça sent le polar noir, le testament désabusé. C’est osé, c’est malin, et c’est surtout très bien exécuté.

Un Daredevil sans Daredevil ? Mais quelle idée !

Soyons honnêtes, vendre un comics Daredevil dans lequel le héros meurt dès la première scène, c’est plutôt gonflé. Mais c’est justement ce choix qui rend l’histoire fascinante. Pas d’envolées acrobatiques à la Born Again, pas de moments héroïques où Matt Murdock reprend le dessus sur l’adversité. À la place, une ville en deuil, un héros tombé au combat, et un mystère en forme d’ultime clin d’œil (à la Rosebud).

Ben Urich devient notre guide dans cette descente aux enfers. Le bonhomme n’est plus tout jeune, il en a vu des vertes et des pas mûres, mais cette histoire-là, il ne peut pas la lâcher. Parce que Daredevil, c’était un ami, une icône, une obsession. Alors Ben Urich va fouiller, recoller les morceaux, et ce faisant, nous balader à travers l’univers de Matt Murdock. On croise Elektra, le Punisher, le Caïd, tous ceux qui ont compté. Mais pas forcément sous leur meilleur jour. End of Days, c’est une fin de règne, et personne n’en sort vraiment indemne.

Un parfum de Miller et de Watchmen dans l’air

Ce qui frappe immédiatement en lisant End of Days, c’est cette ambiance crépusculaire, oppressante, où tout sent le renfermé et la fatalité. L’influence de The Dark Knight Returns est palpable : la ville est un cloaque, les figures héroïques sont des reliques, et la morale est aussi floue que la vision d’un type qui aurait pris une mandale de Bullseye en pleine face. L’ombre d’Alan Moore plane aussi sur l’ensemble, avec cette structure en enquête qui rappelle Watchmen.

Tout ça, ça fonctionne du tonnerre, mais ça ne conviendra pas à tout le monde. Si vous aimez les versions plus dynamiques et éclatantes de Daredevil, façon Mark Waid, préparez-vous à un choc thermique. Ici, c’est du lourd, du rugueux, du sombre. Et peut-être même un peu trop. À force d’accumuler les drames et les révélations funestes, End of Days flirte avec l’excès. Un peu comme un album de Radiohead trop introspectif : c’est beau, c’est puissant, mais ça peut aussi être étouffant.

Graphiquement, c’est un coup de maître

Si l’histoire est aussi prenante, c’est aussi parce que le bouquin est une claque visuelle. Klaus Janson, Bill Sienkiewicz, Alex Maleev et David Mack, c’est ce qu’on appelle un casting de luxe. Résultat : une ambiance poisseuse, des planches où le grain du papier semble imbibé de whisky bon marché, et des flashbacks magnifiques. K. Janson, qui a bossé sur The Dark Knight Returns, livre un dessin brut, presque agressif. B. Sienkiewicz, lui, apporte cette touche hallucinée, un côté fiévreux qui colle parfaitement à l’atmosphère du récit.

Le découpage est d’une inventivité enthousiasmante. Les planches cassent les codes, osent des compositions chaotiques, et donnent à l’ensemble une dynamique à la fois désordonnée et terriblement immersive. Le genre de truc qu’on ne voit pas si souvent chez Marvel, où l’approche graphique est souvent plus lisse. Ici, on est dans du brut, du crasseux, et ça colle parfaitement au propos.

Un mystère haletant mais une conclusion en demi-teinte

L’enquête de Ben Urich fonctionne du tonnerre. Il saute d’un personnage à l’autre, il recueille des indices, et chaque entretien nous plonge un peu plus dans les abysses du passé de Daredevil. Sauf que… tout ça finit par devenir un poil répétitif. La structure est simple : Ben Urich pose une question, l’interlocuteur botte en touche, et on passe au suivant. Ça fonctionne, mais sur plus de 200 pages, on finit par sentir une légère usure. Heureusement, il y a des moments de pure tension, notamment une apparition du Punisher qui fait son petit effet, qui viennent relancer l’intérêt.

Et puis il y a la révélation finale. Qui, sans rien spoiler, risque de diviser. Certains la trouveront élégante, subtile. D’autres, plus exigeants, diront qu’elle manque de punch. C’est un final plus poétique qu’explosif, qui fait sens avec tout ce que Bendis a construit sur le personnage. Mais ceux qui espéraient une réponse nette et tranchante au mystère de « Mapone » risquent de rester sur leur faim.

Verdict : à lire, mais pas pour tout le monde

Alors, faut-il lire Daredevil : End of Days ? Si vous aimez Daredevil, la réponse est oui, mille fois oui. Ce récit est un hommage fascinant au personnage, une plongée sombre et émouvante dans son héritage. L’écriture est ciselée, l’ambiance oppressante, et l’ensemble est visuellement à tomber par terre.

Mais attention, ce n’est pas un récit accessible à tous. C’est dense, parfois lourd, et la narration peut donner un sentiment de boucle qui traîne en longueur. Quant à la conclusion, elle ne mettra pas tout le monde d’accord.

Bref, si vous cherchez un comics de super-héros punchy et dynamique à la Spider-Man, passez votre chemin. Mais si vous voulez une enquête noir, un chant du cygne désespéré et un Daredevil qui s’efface pour devenir une légende, End of Days est un incontournable.

Daredevil : End of Days est un comics de 208 pages publié en France par Panini Comics. Il contient : Daredevil : End of Days #1 à 8.




A propos Stéphane 732 Articles
Stéphane Le Troëdec est spécialiste des comics, traducteur et conférencier. En 2015, il s'occupe de la rubrique BD du Salon Littéraire. Ses autres hobbys sont le cinéma fantastique et les jeux. Enfin, et c'est le plus important : son chiffre porte-bonheur est le cinq, sa couleur préférée le bleu, et il n’aime pas les chats.