Avec Omega Men et Sheriff of Babylon, Tom King porte 2 regards subtils et complémentaires sur le monde actuel

 

 

Sheriff of Babylon : vision micro de la perte de sens

Dans Sheriff of Babylon, Chris Henry est un ancien policier américain qui forme les membres de la future police irakienne. Moins important qu’un soldat, plus visible qu’un agent secret, sans statut réel, il erre dans Bagdad et tente de survivre. Entre les tensions, le communautarisme, un meurtre suspect, les agents triples et les jeux de pouvoir complexes. Tom King livre de superbes portraits d’hommes et de femmes, mais surtout un bilan terrible de la présence américaine à Bagdad. Le personnage principal, Chris Henry, veut aider, mais il ne comprend rien car sa grille de lecture occidentale n’est pas adaptée à la vie irakienne. Pire encore, il ne sait sur qui compter – qui sont ses alliés ou ses ennemis ? – et s’enfonce dans une solitude angoissante. Tom King acte ici l’incapacité chronique des Américains à s’imposer et à aider, pour les rares qui le souhaitent vraiment. Un jeu de dupes constant, via la vision d’un homme qui se perd et s’oublie.

 

 

Deux visions mais une constante : le héros perdu et vaincu

Dans Omega Men, Kyle Rayner est un White Lantern, « élu » capable de contrôler tous les anneaux. Il vient dans le système Véga pour l’apaiser, mais est enlevé par les Omega Men. Beaucoup d’éléments rapprochent Kyle Rayner du Chris Henry de Sheriff of Babylon : tous 2 subissent les évènements, ils ne contrôlent rien. Ils tentent de conserver leurs idéaux et leurs dignités dans un contexte abominable. Cette notion de héros « qui veut bien faire » mais vaincu par la situation générale n’est pas un hasard. Elle pourrait correspondre à une forme d’aveu de Tom King, qui a quitté la CIA des suites d’un stress posttraumatique. Dans ses récits, le scénariste projette beaucoup cette sensation de défaite inéluctable face aux évènements. Omega Men et Sheriff of Babylon voient leur héros se perdre, mais la retenue de Chris Henry, sa « lâcheté anonyme » le protègent de conséquences graves. Car s’il veut comprendre, il n’ose pas tout sacrifier pour cela. Là où Kyle Rayner, martyr, en vient à perdre autant ses illusions que son âme. Cette problématique de l’agent « retourné », déjà vue dans la série TV Homeland, est autant passionnante que terrifiante.

 

 

Omega Men et Sheriff of Babylon sont 2 très beaux titres de Tom King. Mais ces maxi-séries concomitantes se complètent surtout dans 2 visions brutales de la présence américaine en Irak. Avec ses conséquences terribles sur les populations locales (la fin cruelle d’Omega Men, le destin de Nassir dans Sheriff) et les agents des forces d’occupation (Chris Henry et Kyle Rayner, brisés). Mais sans donner de leçon et sans « préférer » un camp à l’autre. Une autre grille de lecture pour une autre réussite de Tom King, qui marque et laisse le lecteur songeur. ■

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