Il fut un temps où Stan Lee ne se contentait pas de révolutionner les comics : il vendait sa propre légende, la mythologie Marvel emballée dans un vernis de respectabilité éditoriale. Son of Origins (1975), suite de Les Origines de Marvel Comics, fait partie de ces ouvrages étranges, à mi-chemin entre le recueil d’histoires et l’autocélébration orchestrée par Stan Lee. Et si les éditions Talents s’y intéressent aujourd’hui, c’est bien parce que ces bouquins ont marqué une étape décisive dans la manière dont Marvel s’est racontée à aux lecteurs.
Quand Marvel tenter de percer en librairies
Son of Origins n’est pas un simple “best of” des années 60. Il s’agissait de la première vraie incursion de Marvel dans le marché des librairies, un monde jusque-là réservé à la « vraie culture ». Fini les kiosques et les rayons d’épicerie : Stan Lee voulait que ses super-héros trônent fièrement à côté des classiques de la littérature jeunesse.
Il faut rappeler d’ailleurs à quel point ce livre avait tout du cadeau de Noël idéal : un grand format, une couverture peinte par John Romita Sr, et ce parfum d’ « art populaire » qu’on commençait à prendre au sérieux. Son of Origins est un objet à la fois étrange et précieux, un peu kitsch certes mais fondateur, où l’on sent Marvel chercher à s’imposer dans un nouveau territoire.

Une ère de création pure
Le titre Son of Origins en dit long : une suite directe, mais aussi une filiation. Dans ces pages, on retrouve les origines de héros considérés à cette époque comme des personnages secondaires : Iron Man, les X-Men, Daredevil, les Avengers, Nick Fury et même le Silver Surfer. Autant dire que la sélection fait sourire aujourd’hui, quand on voit ces « seconds couteaux » dominer le cinéma mondial.
Ce choix de casting n’empêche pas l’émotion poindre : ces récits présentent les premiers pas de ces personnages chez Marvel.
Son of Origins résume toute l’ambivalence de Marvel dans les années 70. D’un côté, la nostalgie sincère d’une époque de création effervescente ; de l’autre, une stratégie éditoriale limpide : transformer le mythe Marvel en produit culturel
Les vrais héros de Son of Origins
Si Stan Lee est la star affichée du livre, le vrai intérêt de Son of Origins tient à la présence de ses artistes : Don Heck sur Iron Man, Gene Colan sur Daredevil, Jack Kirby sur les Avengers, Bill Everett sur le premier Daredevil… Gene Colan, en particulier, savait insuffler une atmosphère un peu plus sombre et dynamique, même chez Iron Man. Et Don Heck, souvent sous-estimé, y apparaît comme dans une de ses meilleures périodes. Autrement dit, Son of Origins fonctionne aussi comme un musée du style Marvel des sixties.
La légende selon Stan Lee
Mais c’est dans les textes d’introduction de Stan Lee que Son of Origins prend une dimension quasi mythologique. Stan Lee y raconte, avec sa gouaille habituelle, la genèse des héros comme s’il commentait ses propres exploits. Comprendre : Stan Lee aime s’y mettre en avant. Néanmoins, il y a la fameuse anecdote où Stan Lee « découvre » le Silver Surfer dans les pages livrées par Jack Kirby pour l’épisode consacré à Galactus.
Stan Lee écrit : « J’étais surpris de voir un personnage argenté sur une planche de surf ! Quand je demandai à Jack qui il était, il me répondit qu’un dieu cosmique devait forcément avoir un héraut. » Autrement dit, Jack Kirby aurait entièrement créé le Silver Surfer sans en parler à Stan Lee. Une phrase, une seule, mais qui nourrit depuis cinquante ans le débat sur la paternité réelle des créations Marvel. Et Son of Origins devient alors bien plus qu’un recueil : c’est le manifeste officiel du storytelling « made in Stan Lee ». Ce qui explique encore aujourd’hui pourquoi on entend parfois que Stan Lee aurait « tout créé » chez Marvel.
Un livre fondateur, entre marketing et nostalgie
Son of Origins résume toute l’ambivalence de Marvel dans les années 70. D’un côté, la nostalgie sincère d’une époque de création effervescente ; de l’autre, une stratégie éditoriale limpide : transformer le mythe Marvel en produit culturel via ses personnages et « leur unique » créateur.
Ce livre préfigure tout ce qui suivra : Comment dessiner des comics : la méthode Marvel, les Masterworks américains, puis les Epic Collections (et même la vague de nos intégrales françaises). Sans Son of Origins, il n’y aurait probablement pas de Marvel dans les rayons des librairies US aujourd’hui. Ce qui rend la chose encore plus savoureuse, c’est que Son of Origins reste, cinquante ans plus tard, une magnifique capsule temporelles du Marvel d’antan.
Conclusion : le fils prodigue de la Maison des Idées
Son of Origins reste un ouvrage fascinant, à la fois naïf et conscient de son propre pouvoir mythologique. Il illustre la manière dont Stan Lee transformait les artistes en légendes (surtout lui même en fait), les comics en épopées, et les pages d’origine en objets de culte.
Et c’est aussi ça, le charme du Marvel vintage : derrière les armures et les capes, il y a toute une génération d’auteurs qui ont, sans le savoir, inventé la culture pop moderne.

Son of Origins : Stan Lee raconte les super-héros Marvel est un livre publié aux éditions Talents.