Marshal Law, c’est comics fun et totalement décomplexé mettant en scène un flic brutal et fascisant qui détruit les symboles de l’Amérique réactionnaire. Pour nous asséner en pleine poire un propos plus subtil qu’il n’y parait.
■ par Mad Monkey
1987, soit un an après Watchmen, 2 autres britanniques décident de s’en prendre aux héros américains et à ce qu’ils représentent. Avec Marshal Law le scénariste Pat Mills (fondateur de 2000 A.D. et ayant influencé la création de Judge Dredd) ainsi que l’artiste Kevin O’Neill (futur dessinateur de la Ligue des Gentlemen Extraordinaires) roulent à leur tour dans les brancards des très lisses comics US pour nous livrer une œuvre coup de poing, qui n’est pas sans préfigurer The Boys de Garth Ennis.
This is America
Le futur. On a désormais les moyens et la technologie pour fabriquer des superhéros. D’ailleurs le gouvernement américain ne s’en est pas privé, surtout une fois engagé dans un conflit en Amérique du Sud. Mais une fois les affrontements terminés il a fallu ramener les supersoldats au pays. Et c’est San Francisco (renommé San Futuro suite à un séisme) qui en a hérité. La ville californienne est désormais divisée en 2. D’un côté une ville riche et moderne ; de l’autre, un secteur qu’on n’a pas pris la peine de reconstruire. C’est là qu’ont atterri les surhommes que les combats ont rendus mabouls. Depuis ils se sont regroupés dans la vieille ville où la situation a dégénéré en guerre des gangs. Pour remettre ces « héros » au pas, il y a Marshal Law. Un surhomme travaillant pour la police et pour des raisons budgétaires, seul flic de ce secteur sinistré. Brutal, autoritaire, insensible à la douleur, vêtu de cuir et de fil barbelé (le petit détail fashion qui fait toute la différence), il éclate du superhéros autant par devoir que par plaisir. Mais sa routine est compromise quand un serial killer se met à sévir et qu’il porte ses soupçons sur l’Esprit Civique. En effet on n’accuse pas le superhéros le plus populaire d’Amérique impunément, surtout s’il est aussi le plus puissant membre de la Jesus League of America…
Pat Mills vs les superhéros
Disons-le tout de suite, Pat Mills n’aime pas les superhéros. D’ailleurs il ne s’en cache pas. Pour lui ces personnages, issus d’une industrie trop conservatrice à son gout, ont pris une importance démesurée. En conséquence dans Marshal Law il ne les ménage pas. Pour se faire le scénariste a développé une grande connaissance du genre superhéroïque, de son histoire et de ses codes. Savoir qu’il met à profit pour faire subir les pires supplices à des personnages inspirés des figures les plus iconiques des différents âges des comics.
Ultra-violence et satire
Cependant attention ! Malgré ses aspects bourrins, Marshal Law n’en est pas bas du front pour autant. Certes il s’agit d’une œuvre ultra violente où on s’amuse à voir souffrir des erzasts des héros DC ou Marvel. Mais il y a aussi un propos de fond qui transforme cette œuvre, qui aurait pu n’être qu’une simple parodie du genre, en une satire mordante.
La déconstruction du genre superhéroïque sur fond de politique
Marshal Law est tout d’abord une déconstruction du genre, voire une destruction, qui s’effectue par une remise en question du principe même de superhéros. Tout d’abord en s’interrogeant sur ce qu’est vraiment l’héroïsme. Mais aussi en se penchant sur l’utilisation qui est faite de l’image de héros combattant pour défendre le statu quo, si ce n’est l’ordre moral. Mais les différentes histoires de Marshal Law sont aussi l’occasion pour le fondateur de 2000 A.D de critiquer l’interventionnisme américain et ses méthodes, les motivations cachées des milliardaires philanthropes, l’élitisme, l’hypersexualisation des héroïnes, la foi placée en des idoles même profanes, la communication politique, etc. Le tout traité d’une manière frontale et brute de décoffrage pour un résultat qui évoque, mais avec des années d’avance, la série The Boys de Garth Ennis.
Un comics unique dans son genre
Marshall Law est donc un comics dense dans ses thématiques. Et cette densité se retrouve aussi dans les dessins de Kevin O’Neill. Son style sec et anguleux regorge de détails allant parfois jusqu’à la surcharge. D’autant que l’artiste s’est amusé à placer autant de texte que possible sur ses personnages ou dans ses décors. Ce qui donne un côté grouillant et oppressant à la ville de San Futuro. Ayons une pensée émue pour Philippe Touboul, le traducteur de cette édition française, qui a dû passer beaucoup de temps sur ces détails. À une époque le style de Kevin O’Neill fit hurler les membres de la Comics Code Authority. Aujourd’hui il offre une distanciation salutaire. En effet un style plus réaliste aurait probablement rendu Marshal Law bien trop 1er degré. Mais grâce au trait unique du futur collaborateur d’Alan Moore on a plus le sentiment de se confronter à une œuvre certes violente et excessive, mais assez drôle. Ce comics, c’est un peu l’héritier gore et trash de l’humour slapstick. ■
Marshal Law est un comics publié en France chez Urban Comics.