Jupiter’s Circle : Mark Millar beaucoup trop consensuel dans son spin-off de Jupiter’s Legacy [Avis]

jupiter's circle mark millar
(image © Millarworld)

Avec Jupiter’s Circle le scénariste Mark Millar livre une préquelle à la dystopie de Jupiter’s Legacy. Mais, comme souvent avec le scénariste écossais, et malgré les bonnes intentions et l’innocence, le vers de l’égoïsme est depuis longtemps dans le fruit…
■ par Mad Monkey

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(image © Millarworld)

L’Âge d’argent du Millarworld

En 2016 Mark Millar, accompagné de Frank Quitely, retravaille les idées qu’il avait déjà abordé par le passé dans Authority. Jupiter’s Legacy montrait ainsi un univers où les superhéros, lassés de simplement courir après les supervilains du moment, cherchaient à régler les véritables problèmes du monde. Mais, contrairement à son run chez Wildstorm, Mark Millar poussait la logique jusqu’au bout avec des héros qui prenaient le pouvoir et s’installait à la Maison-Blanche, idée qui fut cependant bien mise en scène dans Authority, mais par Ed Brubaker. Avec Jupiter’s Circle, Mark Millar décide de se concentrer sur l’ancienne génération de supers. Celle de l’âge d’or, avec ses héros aux valeurs simples. Cependant il démarre cette préquelle en 1959, soit au début de l’âge d’argent des comics. Époque où le modèle superhéroïque classique commence à être égratigné, où ces symboles de perfections se voient devenir plus humains et dotés de problèmes. Dans notre réalité c’est aussi le moment où les États-Unis commencent à prendre conscience de leurs limites et de leur propre part d’ombre. Dans Jupiter’s Circle on suit donc la 1re génération de superhéros face aux changements sociaux des 60’s. Le but étant de monter les œillères que peut avoir l’équipe sur certains sujets, mais aussi les racines des conflits ayant mené à sa destruction au début de Jupiter’s Legacy.

 

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(image © Millarworld)

Des personnages à la Millar

Pour désacraliser ces modèles de vertu, Mark Millar se concentre surtout sur le développement psychologique de personnages fortement inspirés par la Justice League. Et comme on est chez Millar il le fait à sa manière, c’est à dire en dépeignant de riches immatures avec des problèmes sexuels… Pourtant ça commence bien avec un propos sur cette époque via un personnage obligé de cacher son homosexualité à l’époque de la « lavender scare ». On voit sa peur de l’outing et la souffrance qu’il ressent face au chantage qu’il subit. Mais une fois la question du chantage susmentionné réglée le sujet n’est plus abordé, pourtant le reste du monde n’est pas devenu plus tolérant. Plus grave, comme supposé dans Jupiter’s Legacy un superhéros se sert de ses pouvoirs psy pour contrôler une femme allant jusqu’à la forcer à l’épouser et lui faire 2 enfants. Dans Jupiter’s Circle on découvre qu’il l’a effectivement fait parce qu’il… était la cible des blagues de son petit copain. Et si on assiste en long, en large, et en travers à la douleur du dit fiancé on ne saura rien de la réaction de la dame. Même lorsqu’il est émis l’idée qu’elle soit victime d’un abus. Sérieusement, il y avait moyen de traiter plus mal que ça la question du consentement ?

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(image © Millarworld)

 

Parler de politique, mais surtout pas trop

Du reste il parait que Mark Millar et la saga des Jupiter’s… parlent plus largement de politique. C’est du moins comme ça que son œuvre nous est souvent vendue. Mais là aussi le traitement est assez superficiel en grande partie parce que Mark Millar veut couvrir une large période et ne fait que survoler les différents problèmes dont il parle. Ce qui est pratique, ça permet de rester consensuel et de ne brusquer aucun lecteur. C’est voyant lorsqu’est abordé le mouvement des droits civiques ou la guerre du Vietnam. Mais aussi lorsqu’il confronte Utopian à Ayn Rand. Confronter cette autrice bien réelle, fondatrice d’un courant de pensée violemment élitiste et proche du libertarianisme, à un personnage inspiré de Superman, héros créé par ses auteurs pour porter leurs idéaux de justice sociale, promettait d’être intéressant. Sauf que Mark Millar n’en fait pas grand-chose. S’il prend soin de rendre Rand antipathique, ce qui est loin d’être un exploit, le héros est choqué d’être perçu par elle comme une approbation de sa vision du monde. Résultat il n’arrive pas à argumenter et dans cette scène le discours de Rand, même si visiblement désapprouvé, est le seul clairement exprimé. Mais peut-être que Mark Millar ne voulait pas prendre le risque commercial de se moquer d’une autrice très lue aux USA. Jupiter’s Circle offre cependant un contre poids puisqu’on voit Black Fox prendre fait et cause pour les classes opprimées et que le récit nous pousse à prendre son parti. Malheureusement on ne voit pas vraiment le moment où son point de vue sur le système bascule. Hors on parle quand même d’un grand patron contestant un modèle de société fonctionnant à son profit, ça aurait peut-être mérité de véritablement montrer comment il a changé de point de vue (et de ne pas lier ça à une déception amoureuse et un trip au LSD).

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(image © Millarworld)

 

Quand Millar fait son Millar

Qu’on se comprenne bien. Si je souligne ces défauts, c’est en grande partie parce que Millar se vend lui-même. Mais aussi en raison d’une certaine redondance dans le traitement de ses thématiques fétiches. Dans l’ensemble Jupiter’s Circle reste plaisant à lire, pas exceptionnel, mais plaisant. Le scénariste a indéniablement du talent et sait doser son récit pour réaliser un page turner où on ne s’ennuie pas. Et où on ne se pose pas assez longtemps pour avoir le temps de se pencher sur les faiblesses du livre. De plus, il sait choisir ses artistes en fonction de l’ambiance qu’il souhaite installer, et ce comics ne déroge pas à la règle. Mais à enchainer les péripéties sans vraiment travailler un sujet en profondeur on se retrouve avec une œuvre assez superficielle malgré quelques bons moments. Et cette superficialité est quand même devenue depuis quelques années une critique récurrente contre le scénariste. D’autant qu’avec ce spin-off il n’enrichit pas vraiment l’univers déjà mis en place. On nous montre surtout des scènes évoquées plus ou moins discrètement dans Legacy. Ainsi les lecteurs de la série mère ne doivent pas s’attendre à des révélations sur l’île et les extraterrestres ayant offert leurs pouvoirs aux héros. Bref, Millar fait du Millar. Avec tout ce que ça implique. Jupiter’s Circle se révèle être dans la continuité de ce qu’il produit depuis quelques années. Que vous ayez aimé ou non ses œuvres précédentes il y a peu de chances que Jupiter’s Circle vous fasse changer d’avis. ■

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(image © Millarworld, Panini Comics)

Jupiter’s Circle est un comics publié en France chez Panini Comics.