Harleen nous propose de découvrir comment une jeune psychiatre un peu naïve est tombée amoureuse du Joker pour finalement devenir elle-même une criminelle psychopathe. On pouvait craindre un comics tombant dans les pires clichés du genre, il n’en est rien. Harleen réussit l’exploit de nous proposer une histoire sensible et solaire, très éloignée de la Harley Quinn du cinéma. Une très bonne surprise.
■ par Doop
Fascination, tentation, etc…
Harleen Quinzel est une jeune psychiatre qui veut tester une théorie sur le manque d’empathie des criminels. Elle est persuadée que les bas instincts des sociopathes sont une maladie que l’on peut guérir. Après une présentation de ses théories, elle voit sa recherche financée par Lucius Fox, l’un des dirigeants des entreprises Wayne. Pour mener à bien sa thèse, elle doit donc interviewer les pires criminels de l’asile d’Arkham et trouver ce qui les a rendus ainsi. Timide, effacée et dotée d’un cœur d’artichaut, Harleen voit un beau jour son destin basculer. Elle se retrouve en effet au cœur d’une bataille entre Batman et le Joker et ce dernier…l’épargne sans qu’elle comprenne pourquoi ! C’est le début d’une attraction fatale qui va totalement chambouler les pensées intimes de Harleen et l’attirer irrésistiblement vers le pire criminel que Gotham City ait connu. La sensation de peur fait doucement place à de la fascination puis à de l’attirance pour finalement atteindre le stade de l’amour fou, celui qui fait faire de grosses bêtises. Mais Harley est-elle manipulée ?
Un titre lumineux
Si elle est parfois dure, l’histoire développée dans Harleen ne tombe jamais dans le glauque ou le malsain. De fait Stjepan Sejic réussit parfaitement là où Brian Azzarello et Lee Bermejo s’étaient plantés avec le titre Joker. Même si l’issue est connue, même si Harleen tombe dans le gouffre, à aucun moment on ne voit de surenchère morbide ou inutile. Stjepan Sejic prend son temps (150 pages) pour arriver à cette finalité inexorable, enchaînant les rêves prémonitoires et les petits moments de vie qui vont permettre à la jeune femme de basculer. Harleen réussit le tour de force d’être léger et intense à la fois et sans aucun voyeurisme. Il y a même une scène de sexe dont le lecteur n’aura pas à rougir. Au lieu de partir sur la séduction malsaine, l’auteur joue sur la complicité naissante qui s’installe entre les deux personnages. Et il réussit à nous emmener avec lui ! On y croit ! Et l’auteur nous livre de plus une fin assez géniale, à l’image de cette relation ambigüe qui a toujours lié les deux personnages.
Un comics inattendu
En toute honnêteté, Harleen coche à priori toutes les cases du comics qui n’est pas fait pour moi. Tout d’abord parce qu’Harleen traite d’un personnage totalement dévoyé depuis des années. La complexité naïve d’Harley Quinn s’est en effet évanouie pour laisser place à une sexualisation à outrance qui attire plus de lecteurs. Autre point négatif : Stjepan Sejic est pour moi un dessinateur de Witchblade, spécialisé dans les femmes sexy et les comics érotiques comme Sunstone et Swing, dont on vous avait déjà parlé ici. SI vous rajoutez à cela une publication dans le cadre du Black Label, la branche « mature » de DC qui n’a de mature que le fait de proposer des scènes de nu et violentes plutôt qu’un récit complexe et recherché, je m’attendais au pire. Et pourtant. A la lecture des 150 pages de ce récit, j’ai trouvé dans Harleen une histoire que je n’attendais pas du tout. En effet, plutôt que de partir sur de la putasserie pseudo-érotique pour adolescents prépubères, Stjepan Sejic nous livre une introspection plutôt fine et délicate de ce qui se passe dans l’esprit de la future Harley Quinn. Et avec des dessins très agréables qui ne vont absolument pas dans la surenchère.
Une humanité bienvenue
En dépit de ses couvertures un peu accrocheuses, Harleen est un comics que vous pouvez montrer à tout le monde ! Vous pouvez le lire dans le métro sans avoir peur que les gens vous prennent pour un pervers. De ce fait, Stjepan Sejic se détache totalement d’une influence à la J. Scott Cambell ou autres Michael Turner qui avaient tendance à exagérer. Autant le dire, les dessins sont splendides, avec énormément d’idées de composition et des personnages très distinctifs. Certaines planches pourraient être transformées en posters ! L’idée de raconter non pas la transformation de Harleen Quinzel en Harley Quinn mais tout le cheminement qui a conduit à cela est surprenant, dans la mesure où l’auteur va là où je ne l’attendais pas. Si parfois Stjepan Sejic est un peu maladroit avec quelques redites ou quelques passages vraiment très naïfs, il agrémente plusieurs fois son récit de petites touches qui humanisent parfaitement l’ensemble, comme le fait que personne ne connaisse exactement le nom de Harleen ou son passé. Il arrive aussi à nous tenir en haleine pendant 3 bons épisodes uniquement sur ce synopsis, tout en revisitant quand-même un peu la galerie des vilains de Gotham City.
Un récit hors-continuité, malheureusement
Si Harleen se centre plutôt sur l’histoire entre Harley Quinn et le Joker, Stjepan Sejic n’oublie pas de faire intervenir les personnages principaux des séries Batman. Il lie de fait les origines d’Harley Quinn à celle de Double Face, ce qui place tout de suite la série dans le champ des comics hors continuité. Et c’est un peu dommage. Après, on peut comprendre que Stjepan Sejic ait besoin d’adapter un peu l’histoire originale à son récit. Le Joker est plutôt attirant d’ailleurs, ce qui semble logique si l’on veut qu’Harleen s’entiche de lui. Il y a beaucoup de clins d’œil dans ce récit, que ce soit dans les noms, dans certaines références ou certaines situations, comme la 1ère fois où Harley rencontre Poison Ivy ou un hommage à Alex Ross. Donc le fan de Batman sera très satisfait. Et le lecteur qui regrette la Harley Quinn des débuts ne sera pas déçu non plus. Une excellente surprise, superbement dessinée et qui évite beaucoup d’écueils actuels ! ■
Harleen est un comics publiée en France chez Urban Comics.