Dès l’ouverture, Superman : la Chute de Camelot met Clark Kent au tapis sans même parler de kryptonite : une journée infernale où Superman éteint des incendies… mais ne termine aucun papier pour Perry White, au risque de rater une soirée promise à Lois. Kurt Busiek pose le décor avec gourmandise : une humanité de tous les instants, une supervision « utile » (apprendre, observer, comprendre) et un sens du rythme qui alterne Daily Planet, métropole en panique et Kazakhstan mystérieux. Puis Arion surgit, sorcier d’Atlantis tiré des tréfonds de la continuité, pour asséner une bombe ou plutôt une interrogation : et si le plus grand des super-héros déréglait l’écosystème de la Terre en sauvant trop bien tout le monde ?
C’est là que Superman : la Chute de Camelot devient passionnant : pas une variation « aimant à ennuis », mais une remise en cause existentielle. Clark écoute, doute, consulte Lois, Perry, même Zatanna. Kurt Busiek joue à fond la carte du « héros responsable » qui ne croit pas être omniscient. Et pendant que la graine du doute germe, le futur règne du despotique Khyber plane comme une ombre : une chronologie possible où les capes tombent les unes après les autres. La question n’est plus « Superman peut-il gagner ? », mais « Doit-il gagner ? ».

Miroirs et contrefaçons héroïques
Projekt-17 est l’autre bonne idée : un double tordu de Kal-El, pastiche cabossé par l’expérience humaine, puissance sans boussole morale. Face à lui, Superman : la Chute de Camelot orchestre une opposition de philosophies : compassion contre ressentiment, libre arbitre contre contrainte. S’ajoutent Sirocco (ennemi intime de Khyber) et la nuée d’adolescents surpuissants qui jouent aux dieux au-dessus de Metropolis : autant de miroirs qui forcent Superman à choisir sa place, sans posture messianique.
Ce jeu de reflets vaut aussi pour Lana Lang, parachutée à la tête de LexCorp presque malgré elle, écho civil du poids des responsabilités. Clark la comprend parce qu’il vit exactement ça à une autre échelle. Et Kurt Busiek en profite pour distiller des scènes mémorables : le globe du Daily Planet reposé à la force des bras, l’apnée silencieuse au fond de l’océan pour réfléchir, l’entretien ambigu avec Sirocco dans les ruines des Nizârites. À chaque étape, Superman : la Chute de Camelot confronte l’idéal super-héroïque à des réalités qui ne se règlent pas à coups de poings.

Superman : la Chute de Camelot ou les digressions éditoriales qui grattent
On ne va pas se mentir : les coutures de l’époque se voient. La parenthèse « troisième kryptonien », le Prankster en diversion, un crochet par le Bar de l’OUbli : ces respirations « univers partagé » alourdissent parfois le tempo. Rien de rédhibitoire, mais on sent la main de la continuité qui réclame ses minutes d’attention. Superman : la Chute de Camelot reste lisible, simplement un peu grignoté par des à-côtés qui n’ajoutent pas grand-chose à la grande idée Arion/Projekt-17.
La bonne nouvelle, c’est que Kurt Busiek ne perd jamais le cap. Même quand Orion des New Gods ou Power Girl passent dire bonjour (séquence de tests à la Forteresse), le fil thématique revient : « Quel impact a Superman sur l’ordre naturel ? » Le récit fait le grand écart entre feuilleton DC et thèse super-héroïque, parfois avec élégance, parfois avec des craquements. Mais l’ambition reste là, palpable, presque culottée pour une série principale.

Carlos Pacheco et Jesus Merino, le grand spectacle
Visuellement, c’est la fête. Carlos Pacheco et Jesus Merino composent des pages où tout respire : la cuisine des Kent, la double page aérienne de Metropolis, la chambre d’Arion, le bureau improbable de Luthor, la steppe kazakhe, lesfonds sous-marins et le Machu Picchu carte postale. On sent la documentation, le soin, l’envie de crédibiliser l’extraordinaire. Quand Superman : la Chute de Camelot appuie sur l’accélérateur, l’impact des chocs et la pyrotechnie des pouvoirs sont d’une lisibilité exemplaire.
Y a-t-il quelques scories ? Oui : un Tibet un peu carte postale, des poses problématiques ou une Lana qui change de visage au fil des numéros. Mais surtout l’ensemble reste somptueux, porté par des couleurs qui sculptent volumes et ambiances, du plein soleil de Metropolis aux demi-pénombres abyssales. Et il y a ces images qui s’impriment : Lois et Clark au-dessus de la ville, la nuée de surhommes qui couvre le ciel, Projekt-17 qui écrase Superman au sol. Même quand le script zigzague, l’œil, lui, ne lâche pas la page.

La Chute de Camelot : un récit choral sur la place de Superman
Ce que raconte vraiment Superman : la Chute de Camelot, c’est un héros qui accepte de douter sans renoncer. Arion voudrait préserver un « équilibre » à tout prix, quitte à imposer sa vision par la force ; Projekt-17 veut forcer la main au monde par le traumatisme ; les « nouveaux » super-jeunes confondent pouvoir et jeu. Au milieu, Superman choisit l’écoute, le consensus et l’exemplarité, et ça change tout : il sauve, oui, mais il consulte, s’informe, s’auto-limite.
Cette approche « éthique avant tout » donne sa cohérence au patchwork : Perry, Lois, Jimmy, Lana, Zatanna… chacun devient une balise sur la carte morale de Clark. Et Busiek pousse le lecteur à se demander ce qu’il ferait, lui, à sa propre échelle : intervient-on toujours ? Jusqu’où ? Avec qui ? Superman : la Chute de Camelot refile le malaise fertile des bonnes histoires : pas de solution magique, mais un cap, et la promesse que le pouvoir n’a de sens qu’adossé à la responsabilité.

Et donc, ça vaut le coup ?
Imparfait mais essentiel : voilà Superman : la Chute de Camelot. Oui, les digressions éditoriales dispersent l’attention, oui, certaines pistes (Carolyn Llewellyn ou Intergang) disparaissent trop vite. Mais la proposition centrale, elle, reste puissante : reposer à neuf la question « pourquoi Superman ? » et y répondre par l’humilité et la méthode plutôt que par la surenchère.
Au final, c’est une lecture qui marque autant la tête que la rétine : une thèse super-héroïque emballée par un blockbuster élégant. Si vous aimez les récits où l’Homme d’Acier n’est pas seulement un poing dans le ciel mais une conscience en atcion, Superman : la Chute de Camelot mérite clairement sa place dans votre bibliothèque.

Superman : La Chute de Camelot est un comics publié en France par Urban Comics. Il contient : Superman #654-659, #662-664, #667, Superman Annual #13