Alan Moore ! Je ne vous remercie pas !
■ par Perry Jameson
Depuis juillet 1980, mon entrée dans le monde du comics, j’ai traversé les différentes périodes de ma vie par le prisme du comics américain.
J’ai vécu la période d’émerveillement du début. La lassitude. L’envie d’arrêter et l’arrêt temporaire. La recherche du petit comics indépendant que personne ne connaissait. L’achat des 1ers comics en VO en 1988. L’arrivée d’Image Comics et des couvertures « collector » pour investisseurs compulsifs du dimanche. L’envie de tous les dessinateurs ou scénaristes de créer leurs propres personnages et qui ne voulaient en aucun cas créer le prochain Wolverine chez un éditeur et finir comme Jack Kirby. Ou la « presque » mort de la Marvel dans les années 90 et sa renaissance. L’entrée, plus ou moins réussie/ratée, des superhéros au cinéma.
Mais le pire a été la création de cette chimère de Watchmen en 1986 par Alan Moore. Ce poète raté qui a mis en avant le réalisme dans les comics de superhéros. Cette idée stupide qu’il faudrait du réel dans le comics de superhéros. Tel ces gens dépourvues d’imagination rêvant un jour sur 2, qui se demandaient à longueur de temps dans les pages du courrier des lecteurs de Strange « Mais où Superman peut bien mettre sa cape sous son costume ? », « Mais comment Spider-Man retrouve ses affaires quand il les jette du haut d’un gratte-ciel ? ». Ce besoin de concret, insupportable, qui a poussé la Marvel à expliquer à grand renfort de pages bonus comment Daredevil ou Spider-Man sortaient de chez eux sans être vus, schémas à l’appui. Je ne me suis jamais posé la question de la densité moléculaire de Banner ou comment un superhéros vole.
Je lui ai toujours opposé « l’axiome du superhéros ». Mon axiome magique qui m’a permis pendant si longtemps de rêver comme un gosse de 10 ans. Depuis ce jour béni où j’ai lu le Spécial Strange 19. Et la découverte des « Étranges X-Men » de Claremont/Byrne/Austin. De voir un Magneto conduire mentalement une roulote a une vitesse subsonique jusqu’à une base souterraine dans la lave du pôle sud tout en discutant le bout de gras. L’axiome magique du superhéros qui m’a permis pendant tant d’années de répondre aux questions « pourquoi ? », « Mais comment ? » et d’autres « C’est pas possible !?!» par un simple « On s’en fout ! T’occupe pas du monde qui passe et avance ! ».
Alan Moore a tué ce comics en 1986. Il a tué ce comics que j’aimais. Du haut de ces 400 pages de bla-bla condescendant, cynique, triste, glauque et à la fin d’une stupidité sans nom. Il a tué mon comics qui était capable de vous raconter une histoire en 20 pages. De vous envoyer de l’autre côté de la galaxie et en revenir sans vous emmerder avec la physique quantique. Ce comics du « monstre du mois » qui pouvait être ridicule comme inoubliable. Ce comics qui ne cherchait pas à être une référence qui mettrait tout le monde d’accord.
Mais Alan Moore est arrivé tel l’archange apocryphe annonciateur d’apocalypse. Il a transformé « mon » comics en bande dessinée. Ce genre de bande dessinée qu’il est de bon ton de montrer à ces amis. « Je ne lis pas du comics de superhéros, monsieur. Je lis Watchmen ». Et bien évidemment 12 numéro n’ont pas suffis. Il a fallu en rajouter avec la peste « Vertigo » et autre label pour lecteur trop bien d’eux-mêmes pour lire du comics de superhéros.
Alors vous avez gagné, Alan Moore, ou peut-être suis-je trop vieux ? Je n’ai plus l’envie de défendre (l’ai-je fait un jour, d’ailleurs?) ce comics que j’aimais tellement contre ces hordes barbares cacochymes approchant la Bérézina qui se demandent encore pourquoi le comics se meurt, ou par quoi un gamin de 10 ans pourrait commencer.
Il m’est difficile de voir que « mon axiome » ne me permet plus de supporter l’ensemble de la médiocrité périodique des productions actuelles dans l’univers du comics de superhéros sauf à de bien trop rares exceptions.
Je n’ai plus ni la foi ni l’envie ni le plaisir de lecture qui me tenait chaque semaine à vous écrire des « flash/brèves/ bafouilles ou autres mesquineries » . C’est fini. Je quitte le monde du comics comme une diva sans regret ni trompettes. Et je ne vous remercie pas, monsieur Alan Moore. ■