Les temps sont durs pour les comic shop. Le célèbre magasin parisien, Album Comics, tire la sonnette d’alarme. Explications.
■ par Doop
Le 11 février 2020, la librairie Album Comics a signalé dans un communiqué public ses grandes difficultés et une baisse de plus de 50% de sa fréquentation depuis le début de l’année. Pire, il semblerait que cette situation catastrophique soit partagée par la grande majorité des concurrents alentour. Cette situation est-elle à imputer aux éditeurs eux-mêmes, à un changement des modes de consommation ou tout simplement à une situation sociale dégradée qui a empêché pas mal de déplacements dans les grandes villes ? Si l’on se base sur le communiqué, on a la réponse.
Des problèmes structurels ?
Le statisticien que je suis mettra tout d’abord quelques réserves sur la teneur du communiqué. C’est bien, à mon sens, que le magasin communique. Néanmoins son argumentation trop laconique peut soulever des questions. Depuis combien de temps ? Est-ce que cela se traduit sur le chiffre d’affaires ? La fréquentation s’est-elle reportée sur les commandes en ligne ? Mais bon, dans la mesure où ce n’est jamais bon pour un commerçant d’annoncer qu’il a des difficultés, on peut largement accorder une légitimité à ce communiqué. Quel intérêt aurait Album à signaler à tout le monde qu’il est en difficulté si ce n’était pas vrai ? De mon point de vue, il n’y a pas de non-dits ou d’éléments cachés, arrêtons de voir les conspirations partout. De plus, cela a été confirmé par Xavier Fournier sur sa page Facebook. Je pense qu’on avoir confiance en cette info. Mais je tenais toutefois à la préciser.
Un communiqué pourtant précis
Je vois déjà certains crier au loup : « C’est la faute de Panini Comics ! C’est la faute d’Amazon ! C’est la faute d’Urban Comics ! C’est la faute de Macron ! ». Et bien évidemment, on se doute que ces problèmes minent déjà la compétitivité des comics shops. Mais j’aurais plutôt tendance à dire que c’est surtout la faute des lecteurs.
Alors certainement, la VF c’était mieux avant, quand on pouvait la trouver dans les kiosques à pas cher. Oui, les augmentations de prix et les différents reboots de Panini Comics ou Urban Comics n’ont probablement pas incité certains lecteurs à continuer leurs achats mensuels. Encore oui, pour le passage au tout cartonné qui a contribué à faire en sorte qu’une grande partie des albums se retrouvent en librairie classique beaucoup plus qu’il y a 10 ans et à des prix 4 fois plus élevés. La baisse de la fréquentation des librairies, de l’achat de livres est réelle et actée depuis maintenant plusieurs années. Et encore oui, l’augmentation des tarifs et surtout la volonté croissante du consommateur d’avoir tout et tout de suite derrière son écran sans avoir à bouger ses fesses est une donnée importante. On ne peut pas nier ces données, qui ne suffisent pourtant pas à expliquer une baisse de fréquentation de 50% depuis décembre.
Les reboots de Panini Comics, ça fait maintenant 6 ou 7 ans qu’on s’en coltine chaque année, l’augmentation des prix, là aussi, et ça ne s’est pas traduit du jour au lendemain. Si ça avait dû être la cause majeure, la fréquentation aurait diminué lors du passage du kiosque au softcover il y a 2 ans. On pourra rétorquer la même chose pour Urban Comics, qui n’a pas attendu l’année dernière pour faire du quasi-tout cartonné.
Et ce serait oublier une donnée essentielle : les comics shops sont les seuls à proposer des singles VO, et je pense qu’il s’agit aussi d’une grande partie de leurs clients. Et ce n’est pas comme si le prix des VO n’a pas continuellement augmenté depuis des années.
Les problèmes cités ci-dessus sont réels, et expliquent bien évidemment une érosion lente du lectorat VF et VO. Mais ce n’est pas le propos du communiqué. De même que le prix des loyers dans les centres-villes, qui doit être à mon sens l’un des problèmes majeurs de rentabilité.
Mouvements sociaux vs comics-shops ?
Lorsqu’on lit entre les lignes, on comprend que les manifestations sociales qui durent depuis le début de l’année et qui se sont véritablement amplifiées depuis la réforme des retraites sont un facteur non négligeable. Ce qui me parait inquiétant. Je peux comprendre tout à fait qu’un lecteur occasionnel (ou non) n’ait pas envie de se retrouver bloqué dans le métro ou de passer à côté d’une manif pour aller chercher son House of X n°4. Le problème, c’est que les comics, c’est avant tout un loisir. Et que l’industrie du loisir est certainement ce qui pâtit le plus des grèves longue durée. Quand votre frigo est vide, pas le choix, il faudra aller le remplir. En revanche, s’il manque un comics ou deux, c’est moins grave. Ça se rattrape, ou ça se télécharge, légalement ou pas. Le souci, c’est généralement que quand on arrête les comics… Ben faut un moment avant d’y revenir ! Souvent quand on arrête, c’est pour un moment. On y revient souvent (ça m’est arrivé plusieurs fois) mais avec les changements de numérotation, les changements de statu quo, c’est quand même compliqué de s’y retrouver. Et il est tout à fait possible que certains y laissent des plumes. Et puis, comme je viens de le dire, le téléchargement illégal a certainement dû faire faire des économies à certains. Tout comme les sites de vente en ligne et leurs promos imbattables.
Les comics shops : un vrai service!
On ne peut bien évidemment pas se battre contre l’argument du prix. Pourtant, je trouve que l’un des intérêts des boutiques de comics, c’est aussi de discuter avec des gens « en vrai », de se faire conseiller par quelqu’un qui connaît et qui généralement aime les comics. Et qu’en dépit de tout ce que l’on peut penser, il n’y a rien de mieux que de feuilleter un livre avant de se décider à l’acheter ou pas. Alors que tout le monde (ou presque) se plaint d’Amazon et de la société de consommation à outrance, aller dans un magasin de comics, discuter avec des vrais gens, feuilleter, regarder, c’est quand même mieux que de cliquer sur un bouton en pyjama sur une icone parce que le 1er site de comics venu fait une critique positive (bon, Top Comics exclu bien évidemment). Ou bien parce que « le film c’est trop de la balle et que je veux commencer Spider-Man depuis le début ». S’il y a eu une évolution inquiétante, c’est surtout au niveau des mentalités des lecteurs. Moi inclus.
Les comics shops et moi
Encore une fois, une expérience personnelle ne peut servir de référence, mais sincèrement, si je n’avais pas eu un jour en face de moi un vendeur dans un véritable magasin de comics, je n’aurais peut-être jamais continué à en lire passé 19 ans. Je ne me rappelle plus du tout le nom du magasin, mais il était situé dans le vieux Nice, vers 1995. Je ne savais même pas que ce type de boutique existait et je suis devenu fou ! Surtout que d’entrée, le vendeur (dont je ne me rappelle plus le nom non plus) m’avait orienté vers une BD qui allait forcément me plaire : Sandman. Bingo. L’addiction était déjà là, mais elle s’est amplifiée. Je pense que le magasin n’a pas tenu très longtemps ou a déménagé (faut dire qu’à l’époque c’était quand-même couillu, surtout que les goodies n’existaient pas beaucoup et que les comics étaient plus que confidentiels). J’ai continué donc de précommander mes singles (!!) dans un autre magasin… spécialisé dans les mangas… je crois qu’il s’appelait AKIRA à Nice et d’après mes recherches ce magasin existe encore, mais sous une autre forme, je me rappelle encore du couple qui tenait le magasin et qui était adorable. La vie étant ce qu’elle est, j’ai dû ensuite déménager vers Paris, où là j’ai découvert un autre monde… sauf que… étant toujours fidèle, j’ai continué à me faire envoyer mes commandes par courrier de Nice. Même si cela coûtait plus cher. Mais finalement, au bout d’un an j’ai décidé, pour faire des économies (salaire de débutant, tout ça) d’arrêter les comics. Comme je le disais plus haut, cela m’a bien tenu une année ou deux. Mais la passion a repris ses droits et je me suis donc retrouvé à faire les aller-retours (1 h de train) quasiment toutes les semaines pour aller chercher mes nouveautés sur Paris, notamment à la boutique GAEL, où j’ai été client pendant au moins deux ou trois ans. Le choix n’était pas innocent… j’avais en effet choisi la boutique qui me semblait la plus petite, parce qu’elle aurait certainement plus besoin de mes sous qu’Album. Ce qui peut sembler ironique à présent. Et avec un responsable super sympa et serviable, toujours de bon conseil. Qu’est ce que j’ai pu claquer comme argent à cette époque ! Le magasin ayant déménagé (ou s’étant arrêté) j’ai trouvé encore mieux. Un forumer de Buzzcomics qui venait de monter sa micro-entreprise de comics par correspondance : l’incomparable Noël Gourvennec alias Gourvy. Même si c’était parfois plus cher, non seulement le choix de vie me plaisait mais aussi le fait qu’en relation client je n’ai jamais connu quelque chose d’aussi parfait ! Cartons blindés, comics en plus, goodies, bref… rien n’était impossible ! Malheureusement, je crois que le prix du dollar ayant augmenté, les marges pour tout simplement survivre n’étaient plus suffisantes. Et c’est avec un grand désespoir que j’ai vu Gourvy quitter le navire de la VPC. Qu’allais-je donc faire ? Là aussi, cela aurait été facile de passer par Amazon, la plupart de mes commandes étant des TPB. Mais bon, ça m’ennuyait beaucoup. J’ai donc demandé à Pulp’s Comics s’ils faisaient de la vente par correspondance. Et bonheur ! C’était faisable. Okay, les frais de ports étaient à ma charge mais cela ne me gênait pas, et puis, cela m’évitait d’aller à Paris plusieurs fois par mois (les prix des trains ayant eux aussi explosé). Là aussi, j’ai été accueilli par des gens plus que sympathique, toujours présents. Cela a été une très bonne expérience. Bon, il se trouve que depuis quelques mois, je suis un peu déconnecté des comics, tout du moins des nouveautés. Il m’arrive de passer par PriceMinister pour quelques TPB mais globalement, ma lecture s’est vraiment arrêtée. Quelques exceptions pour les premiers House of X/Powers of X de Hickman mais finalement, je me contente de quelques VF par-ci par-là ou de quelques TPB accumulés lors de mes passages sur Paris. Ça reviendra certainement un jour ! Et ce jour-là, j’espère que ces magasins existeront encore. Parce que rien ne remplace l’humain. C’est simple, si j’avais décidé de tout commander en ligne depuis le début, ce chapitre et ces nombreux souvenirs n’auraient pas existé. Jamais je n’aurais eu le bonheur d’avoir les 50 premiers numéros des Teen Titans (trouvés en lot par Gourvy), jamais je n’aurais eu en ma possession l’Artist Edition de Groo The Wanderer (gagné lors d’un concours Pulp’s), jamais je n’aurais connu le Daredevil de Bendis, le Sandman de Gaiman, etc. Et je ne serai certainement pas en train d’écrire ces mots aujourd’hui. ■
Les détails de l’Album Comics Initiative sont à retrouve sur le site d’Album Comics.