Rigor Mortis : Histoire d’un vampire chinois [avis]

Jusqu’où êtes vous prêts à aller pour garder le passé en vie ? C’est la question que pose Rigor Mortis, film hongkongais réalisé en 2013 par Juno Mak, disponible sur la plateforme Outbuster.
■ par JB

 

 

Un acteur, Chin Siu-ho, a quitté dans sa jeunesse son HLM au début de sa carrière. En pleine dépression et décidé à se suicider, il emménage dans un HLM qui tombe en ruine. Peu après son arrivée, il tente de se pendre. A ce moment, un fantôme prend possession de lui. Un moine taôiste vient à sa rescousse. Cependant, les esprits ne sont pas la seule menace surnaturelle de l’immeuble.

 

 

Jiangshi, kézako ?

Autant le dire, je suis un néophyte en cinéma fantastique hongkongais. Je me suis donc un peu renseigné. L’acteur principal incarne son propre personnage. Chin Siu-ho a en effet joué dans les années 80 dans une série de film, Mr Vampire où apparaît également une partie du casting de Rigor Mortis. Mr Vampire est un film phare du genre dit du jiangshi ou vampire chinois. Loin de la version occidentale, ce vampire est généralement un être mort loin de chez lui, dont le corps a été réanimé par un prêtre afin qu’il puisse retourner chez lui pour y reposer en paix. Un jiangshi est également créé lorsqu’un mort est possédé par un esprit, ou lorsque l’âme ne quitte pas le corps du défunt. Le film Rigor Mortis est ainsi à la fois un hommage et un adieu à ce cinéma de genre. Ceci explique la scène finale dont la signification m’avait initialement échappée.

 

 

Une ambiance soignée

En effet, ignorant tout ce passif, j’ai pris Rigor Mortis comme il était. Dès les 1res minutes, le soin apporté à la réalisation est visible. L’arrivée dans l’immeuble est rendue oppressante par des tons grisâtres et des espaces cloisonnées et décrépits. L’arrivée du surnaturel à grands renforts d’effets spéciaux soignés et un exorcisme teinté d’arts martiaux n’en sont que plus détonants. À partir de là, Rigor Mortis alterne entre des scènes quasi intimistes, les personnages et des scènes horrifiques qui ne se basent pas sur des jump scares mais sur le caractère inéluctable de la catastrophe. Par exemple, un adepte de la magie noire suggère à une veuve que le sang du puceau peut aider son mari à revenir à la vie. Peu après, un enfant vient jouer chez elle… La caméra s’attarde longtemps sur ce sacrifice pourtant hors champ.

 

 

Et si le passé nous hantait ?

Rigor Mortis rassemble plusieurs monstres mythiques chinois. La 1re forme du jiangshi est un corps à peine réanimé, qui n’est finalement que la manifestation physique du deuil de son épouse, pratiquement immobile et inconscient du monde autour de lui. Les jumelles qui hantent l’appartement de Chin Siu-ho sont plus proches des esprits orphelins morts dans des circonstances violentes, qui mêlent ici viol, meurtre et suicide. Esprits enragés à la recherche d’un corps, elles sont l’antithèse du jiangshi corporel mais monolithique. Dans le film, elles représentent également une mémoire irrépressible de l’ancienne occupante de l’appartement. Le moine Taôiste est incapable de se bazarder les affaires de son père, et a appris à vivre avec les fantômes du HLM. Chi Siu-ho lui-même est obsédé par des visions d’horreurs sur la perte de sa femme et de son fils dans un divorce. Le surnaturel naît ici de l’impossibilité de tourner la page et de se défaire de son passé.

 

 

Au 24e, dans mon HLM…

Dans Rigor Mortis, on en sait finalement peu sur le protagoniste, assimilé à son interprète. Cependant, les personnages secondaires sont hauts en couleur. Un moine désabusé tente de faire la paix avec les esprits, conscient qu’il les rejoindra bientôt. Son rival, adepte de la magie noire, fait tout pour échapper à sa propre mort. Feng, l’ancienne occupante de la chambre de Chin Sio-ho, squatte l’immeuble avec son fils albinos en voyant les jumelles mortes à chaque fois qu’elle regarde l’appartement. La gentille tante Meiyi, toujours disponible pour garder les enfants ou repriser un costume, devient sans pitié pour ressusciter la carcasse de son défunt mari.

 

 

Des effets spéciaux à la hauteur

Au final, l’aspect fantastique de Rigor Mortis n’est pas discret. Le surnaturel se manifeste dans les 10 premières minutes avec quelques visions d’horreurs et beaucoup, beaucoup de contorsions. Chaque apparition des jumelles est accompagnée de filins rougeâtres en CGI menaçant les protagonistes, et des corps en apesanteurs. Le cadavre du jiangshi privilégie le maquillage pour un teint terreux et une apparence défigurée (le défunt est mort d’une chute). Plusieurs des fantômes hantant l’immeuble aiment se refléter dans des miroirs ou dans les nuages de fumée qu’exhalent les fumeurs. Plus le film avance, plus les spectres se multiplient : une procession incongrue, un enfant intangible. Lorsque les jumelles sont libérées, on a même droit à un plan rappelant d’autres jumelles célèbres dans les couloirs d’un hôtel… Lorsqu’il y a rencontre entre le jiangshi et les jumelles, la réalisation parvient même à nous convaincre du déplacement par bonds du jiangshi, fidèle au mythe mais tellement nanarde d’habitude. Le combat final est imaginatif, changeant l’environnement tout au long de l’affrontement.

 

Pour prolonger le plaisir

En tant que spectateur débutant pour ce genre de film, j’ai trouvé le film efficace et sans temps mort. Les effets spéciaux sont aux services d’une histoire plus subtile qu’en apparence, sur le besoin de lâcher prise avec un passé qui vous hante. Ce visionnage m’a encouragé à découvrir Mr Vampire : après avoir assisté à la fin d’un genre, je suis curieux d’en découvrir la naissance. ■

 

Rigor Mortis est disponible sur la plateforme de VOD française Outbuster.




A propos JB 198 Articles
Lecteur de comics depuis 30 ans, pinailleur Marvel, râleur DC et nostalgique des séries Valiant des années 90.