Made in Plastic, ou le tragique destin de Jack Cole

(image © DC Comics)

Jack Cole est un scénariste et dessinateur historique et malheureusement peu connu en France. Et pourtant, on lui doit un personnage devenu incontournable de l’Univers DC (surtout depuis Metal) : Plastic Man. Retour sur le destin extraordinaire de Jack Cole, qui méritait bien un article.
■par Doop

Plastic Man joue un rôle important dans Batman : Metal ! (image © DC Comics)

 

Le personnage de Plastic Man connait depuis quelques mois un regain d’activité. Gail Simone et Adriana Melo sont aux commandes d’une nouvelle série dédiée au personnage. Plus fort encore : Plastic Man est véritablement au cœur de Batman : Metal, un des plus gros event DC Comics. Mais connaissez-vous le destin de son créateur, Jack Cole ?

 

Jack Cole devant sa table à dessin

 

10 000 kilomètres à vélo en un seul été

Jack Cole est né en 1914 en Pennsylvanie. Fils d’une institutrice et d’un chanteur de bal, c’est un jeune homme timide et introverti. Grand admirateur du strip The Captain and the Kids (Pim Pam Poum), Jack Cole possède une imagination débordante et un sens de l’humour très aiguisé. Le petit Jack dessine beaucoup, que ce soit sur ses livres ou sur ses cahiers de classe. Au fil des années, son ambition se précise : il veut être dessinateur pour faire rire les gens ! Il met de l’argent de côté pour se payer des cours de dessin par correspondance. En 1932, à l’âge de 18 ans, Jack Cole décide de se rendre en Californie à vélo pour assister aux Jeux Olympiques de Los Angeles. Il parcourt ainsi près de 5 000 kilomètres en 23 jours, dormant sur les bas-côtés dans une tente de fortune. Une fois arrivé à Los Angeles, il s’aperçoit qu’il n’a malheureusement plus assez d’argent pour entrer dans les stades ! Il rend visite à son oncle, qui habite tout près. Ce dernier lui propose de payer le voyage retour en bus. Jack Cole refuse, préférant utiliser l’argent pour s’acheter un nouveau vélo et rentrer chez lui en pédalant. Il parcourt ainsi plus de 10 000 kilomètres cet été 1932… sans voir une seule épreuve olympique !

 

Première apparition dans Police Comics (image © DC Comics)

 

L’obsession du dessin

En 1934, Jack Cole s’enfuit de chez lui avec sa fiancée et se marie dans la foulée. Il s’installe alors dans un schéma de vie de famille classique, mais son obsession du dessin reprend le dessus. Jack Cole commence à envoyer des strips à tous les journaux du coin. Lorsqu’il est publié pour la 1re fois en 1935 dans le Boy’s Life magazine, il devient extatique. Sur un coup de tête, Jack Cole part s’installer à Greenwich Village avec sa femme où il ne trouve malheureusement pas de travail. Logique : il n’a aucune formation de dessinateur et sa technique reste à améliorer. En dépit de dépressions chroniques (il affirme à tous ses proches qu’il ne se sent bien que lorsqu’il est devant une table à dessin), il se spécialise ironiquement dans le dessin d’humour qu’il estime moins contraignant techniquement et intègre finalement le studio d’artistes (sweatshop) d’Harry Chesler. C’est lors de son entrée dans le studio qu’il est amené à collaborer pour la 1re fois avec Charles Biro en créant The Claw, un criminel oriental inspiré de Fu Manchu pour l’éditeur Lev Gleason. En dépit de leurs différences de caractère, Charles Biro devient son ami et son voisin. Autant Jack Cole est réservé, autant Charles Biro est bagarreur, passant ses journées à boire et à draguer les filles. Dès 1939 le dessinateur se fait remarquer par Everett Arnold, le directeur de Quality Comics en produisant pour Eisner des titres comme Little Dynamite (une sorte de Dick Tracy noir) ou encore le superhéros véloce Silver Streak. Everett Arnold lui demande de travailler directement pour sa compagnie et lui confie les dessins de séries comme Quicksilver ou Midnight avant d’arriver sur Police Comics où Jack Cole propose le personnage de Plastic Man. Ce héros est assez novateur dans la mesure où il ne s’agit pas d’un étudiant ou d’un milliardaire blasé mais d’un malfrat nommé Eel O’Brien.

 

 

 

Plastic Man

Eel O’Brien (« eel » signifie « anguille » en anglais) est un bandit doublé d’un escroc menant une vie faite d’arnaques et de petits larcins. Alors qu’il cambriole une usine de produits chimiques, il tombe dans une cuve de produits dangereux qui vont le métamorphoser à tout jamais en lui accordant la capacité d’étirer et de modeler son corps à l’infini. Recueilli par des moines, Eel O’Brien change de vie et décide de mener une guerre sans merci contre le crime en utilisant son passé de truand pour infiltrer les organisations criminelles. Convaincu par sa nouvelle occupation de superhéros, il laisse tomber son identité civile et devient Plastic Man à plein temps. Il n’a qu’une seule faiblesse : les températures extrêmes qui le ramollissent ou le durcissent contre sa volonté ! Réalisant le potentiel comique du personnage, Jack Cole donne libre cours à sa fantaisie et oriente la série vers l’absurde. Et il faut dire que l’auteur a de l’humour à revendre ! Prenant ironiquement le contrepied de ce que proposent Joe Siegel et Joe Schuster sur Superman, il crée un superhéros grotesque, sans muscle et sans courage. Plus simplement, il pousse les idées de C.C. Beck et d’Otto Binder sur Captain Marvel (Shazam) jusqu’à l’extrême. Si les aventures de leur Captain Marvel sont souvent ironiques, le héros reste toujours d’une noblesse et d’une bonté sans faille. Ce n’est pas le cas avec Plastic Man, un ancien gangster pleutre jusqu’au bout ! À une époque de prolifération des superhéros tous plus ou moins identiques, c’est définitivement l’originalité de Plastic Man et son traitement qui en font un succès. Jack Cole ne dessine pas son héros de manière réaliste. En dépit de toute contrainte physique, il lui fait prendre toutes les formes possibles et imaginables bien au-delà d’une quelconque cohérence graphique. Au départ, Jack Cole envisage d’appeler le personnage « The India Rubber Man » (qu’on peut traduire par « l’homme caoutchouc des Indes »). Mais Everett Arnold lui propose plutôt d’employer le terme « plastic », une nouvelle matière à la mode dans la plupart des foyers Américains. Comme tout bon super-héros qui se respecte, Plastic Man obtient de Police Comics un faire-valoir humoristique dès le numéro 15 de la revue. Il s’appelle Woozy Winks, personnage au physique hors norme et dont les gouts vestimentaires sont assez particuliers. En effet Woozy Winks porte un incontournable pantalon vert qu’il assortit avec une parka jaune à pois du plus bel effet.

 

(image © Plastic Man)

 

L’ascension et la chute

L’association de Plastic Man et Woozy Winks fonctionne à merveille, faisant de la série un véritable succès. La rémunération de Jack Cole passe de 5 à 50 $ la page et Plastic Man obtient même son strip quotidien dans plusieurs journaux. Une véritable consécration. En 1943, le superhéros hors normes obtient logiquement son propre magazine. La série Plastic Man peut réellement être considérée comme un précurseur de toutes les séries à l’humour grand-guignolesque ! La qualité du dessin de Jack Cole n’a cessé de s’améliorer au fil des années. C’est désormais un artiste reconnu et très demandé. L’éditeur Quality Comics lui confie la série Death Patrol (une parodie de Blackhawk) dans Military Comics. Il réalise même des épisodes du Spirit, la série phare de Will Eisner, lorsque celui-ci part à l’armée. Mais c’est aussi un auteur au caractère obsessionnel, qui s’investit énormément dans ce qu’il crée. Il met en effet beaucoup de lui-même dans les personnages de Plastic Man et de Woozy Winks auxquels il s’identifie totalement. Jack Cole est régulièrement considéré comme le boute-en-train de l’équipe, toujours prompt à faire des blagues à ses collègues. Mais en dépit de sa bonne humeur de surface, Jack Cole est un perpétuel insatisfait et un dépressif chronique. Il réalise bientôt qu’il ne pourra plus tenir tous ses engagements artistiques. Dans les bureaux de Quality, il fond en larmes, dévasté par l’idée que d’autres que lui prennent en main la destinée de son personnage fétiche. En 1954 Jack Cole quitte Quality lorsque Hugh Hefner, le patron du magazine Playboy lui propose de faire des dessins de pin-up au sein de la revue. Cet emploi lui permet d’obtenir une reconnaissance artistique bien au-delà du petit monde du comics. En mai 1958, il obtient enfin la consécration tant attendue : le Chicago Sun Times Syndicate lui propose le strip Betsy and Me. À l’apogée de sa carrière, reconnu grâce à ses dessins de pin-up pour Playboy et à l’abri financièrement, Jack Cole se bat néanmoins toujours contre la dépression. Un combat qu’il perd en aout 1958 : il met fin à ses jours à l’aide un pistolet acheté quelques heures plus tôt. Il a auparavant envoyé 2 lettres, l’une à Hugh Hefner et l’autre à sa femme pour expliquer son geste dont les motivations ne seront jamais dévoilées. On ne connaîtra jamais les raisons de son suicide. Reconnu très tardivement comme un artiste essentiel de l’histoire de la bande dessinée, Jack Cole intègre le Jack Kirby Hall of Fame en 1991 et le Eisner Hall of Fame en 1998. Plastic Man a été ensuite racheté par DC Comics. Le superhéros fera partie de la JLA et obtiendra son propre titre dans les années 2000 ; réalisé par Kyle Baker. Depuis juin 2018, la série Plastic Man est reprise par Gail Simone et Adriana Melo. ■




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Doop lit des comics depuis une quarantaine d'années. Modérateur sur Buzzcomics depuis plus de 15 ans, il a écrit pour ce forum (avec la participation de Poulet, sa minette tigrée et capricieuse) un bon millier de critiques et une centaine d'articles très très longs qui peuvent aller de « Promethea » à « Heroes Reborn ». Il a développé une affection particulière pour les auteurs Vertigo des années 90, notamment Peter Milligan et Neil Gaiman.