Jeffrey Dahmer est un lycéen un peu bizarre, totalement à part et dont les manies et les imitations font rire tout le monde. Mais ce que ses camarades ignorent, c’est que derrière cette apparence de « mascotte malgré lui », les pensées de Jeffrey sont remplies de scènes morbides et d’image de mutilation. Ce récit poignant raconte les origines de ce tueur en série, de sa scolarité au collège jusqu’à son 1er crime, narrées par un camarade de classe.
■ par Doop
Mon ami le tueur
Derf Backderf est un dessinateur réalisant des bandes dessinées pour les journaux et quelques romans graphiques qui connaissent un succès d’estime. Et voilà qu’un beau jour, on lui apprend que l’un de ses camarades de classe, avec qui il a partagé son adolescence, vient d’être arrêté pour de multiples meurtres horribles. Son ami Dahmer est un tueur en série ! On peut largement comprendre le choc ! Après un essai raté (qu’il consigne à la fin de son ouvrage), Derf Backderf réalise finalement ce qui sera son chef d’œuvre : Mon ami Dahmer, une bande dessinée qui retrace l’adolescence du tueur selon le point de vue de l’auteur. Et rien n’est oublié. En dehors de la descente aux enfers et de la fracture psychique d’un adolescent différent et solitaire, c’est toute la cruauté du monde scolaire qui se déroule devant nos yeux. Darf Backderf n’épargne personne, et ne s’épargne surtout pas lui-même. Dahmer faisait rire les gens de par sa différence, Dahmer est devenu, malgré lui, la mascotte de son lycée, Dahmer imitait les handicapés pas seulement pour amuser la galerie, mais parce que c’était simplement la seule manière qu’il avait d’exister, la seule place qu’on lui avait réservée.
Un récit ni complaisant, ni accusateur
En lisant le précédent paragraphe, on pourrait penser que Derf Backderf apporte beaucoup de compassion au tueur. Ce n’est pas vrai. Et c’est la grande réussite de cette bande dessinée. Jamais l’auteur ne prend une réelle position sur le tueur. Il nous livre des évènements factuels, qu’il a recoupés et analysés en retournant dans son lycée, en interrogeant ses anciens camarades de classe. Les seuls moments où l’on a droit à des réflexions personnelles, c’est sur tout ce qui concerne les liens entre les adolescents, la vie au lycée et la méchanceté naïve des adolescents. Mon ami Dahmer ne tombe jamais dans le glauque, ni dans la surenchère. Si certains passages font bien évidemment froid dans le dos, Mon ami Dahmer ne joue jamais dans le facile et dans le gratuit. C’est bien évidemment tout à l’honneur de l’auteur qui arrête son récit au moment du 1er crime de Dahmer. L’étude est assez clinique mais ne franchit que très rarement les portes de l’horreur, contrairement à un From Hell qui pouvait passer des pages à détailler les mutilations de Jack l’éventreur sur ses victimes. Derf Backderf nous entraine au bord du précipice, nous fait parfois vaciller, mais ne nous fait pas tomber dedans. Mon ami Dahmer ne cherche pas à flatter l’appétence malsaine des lecteurs pour les tueurs en série. Ce n’est même pas le cheminement de ce garçon livré à ses obsessions morbides, il ne donne aucune excuse à son héros principal. Mon ami Dahmer se contente simplement de décrire de manière objective les éléments et les personnages qui gravitent autour de Jeffrey Dahmer. S’il en tire une leçon, ce n’est pas sur la vie et l’œuvre de Jerrey Dahmer mais plutôt sur l’inconscience et la légèreté de Derk Backderf et de ses camarades de classe, qui ne se rendent pas compte et s’amusent du fait qu’un de leurs amis est en train de sombrer dans l’alcool et la dépression.
Une partie graphique originale
Je ne sais pas vraiment quoi penser des dessins de Derf Backderf. L’auteur a un style très personnel, qui ressemble vraiment à du dessin de presse ou à des magazines indépendants, ce qui est tout à fait normal lorsqu’on connaît son parcours. De fait, le dessin très cartoony de Mon ami Dahmer peut sembler aux antipodes du récit qu’il veut raconter. Ce n’est pourtant pas le cas. Si les images de Derf Backderf sont loin d’être réalistes, ce qui nous permet de nous éloigner de l’horreur crue racontée dans l’histoire, elles peuvent toutefois être particulièrement glaçantes. En fait, Mon ami Dahmer joue totalement avec les ambiances. C’est une grande réussite. Le sens du rythme est vraiment bien utilisé et nous fait totalement ressentir la folie du personnage. ■
Mon ami Dahmer (My friend Dahmer) est publié en France par les éditions ça et là et en version poche aux éditions seuils. La bande dessinée a gagné plusieurs prix, dont celui de la révélation au festival d’Angoulême en 2014.
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