Habibi, un conte orientaliste tout en contraste [critique]

Habibi
(image © Craig Thompson)

Avec Habibi, Craig Thompson livre un récit oscillant entre noirceur et onirisme au travers d’un monumental roman graphique abordant des thèmes aussi variés que le pouvoir, la place des femmes, l’écologie, les croyances, ou l’exclusion.
■ par Mad Monkey

 

Habibi (image © Craig Thompson)

 

Habibi raconte l’histoire de Dodola, une jeune femme vendue par son père en mariage à un scribe qui se fera assassiner quelques années plus tard. Alors réduite en esclavage, Habibi s’enfuie dans le désert avec Zam, un bébé qu’elle a recueilli. Et là, au cœur d’un bateau échoué au milieu des sables, elle va commencer à lui enseigner les mythes des religions du livre. De ces histoires, tantôt contradictoires tantôt complémentaires, tirées des traditions abrahamiques les 2 orphelins trouveront une échappatoire à leur difficiles conditions de vie. Mais aussi le moyen de continuer à avancer malgré les épreuves qui les attendent.

 

Habibi (image © Craig Thompson)

 

Habibi, une histoire qui n’épargne pas ses personnages

Craig Thompson ne va pas épargner ses personnages dans Habibi. Prostitution, esclavage, meurtre, misère, maladie, mutilation, deuil, enfermement, viol… On pourrait craindre que cette succession d’horreurs rende Habibi illisible, mais ce serait sans compter les pointes de lumière et de douceur que l’auteur nous offre. Que ce soit au travers de l’amour sincère que se portent les 2 héros ou bien grâce aux histoires de Dodola qui ponctuent le comics. D’ailleurs ces instants sont souvent pour l’artiste une occasion de faire preuve de sa très grande maitrise du dessin.

 

Habibi (image © Craig Thompson)

 

Un roman très graphique

En effet, il a fallu 7 ans à Craig Thompson pour terminer Habibi. Ces 7 années lui ont permis de prendre le temps de la réflexion avant de dessiner, mais aussi de se documenter. Que ce soit pour reproduire les styles architecturaux, pour citer des poèmes ou encore des passages du Coran, mais aussi de la Torah (ce qui permet à Dodola d’offrir à Zam les différentes versions et interprétations des récits religieux). Mais aussi, et c’est ce qui saute le plus vite aux yeux, pour pouvoir intégrer la richesse de la calligraphie arabe dans ses planches. Et avec plus de 600 pages, ce roman graphique est d’une grande diversité thématique. Que ce soit le passage à l’âge adulte, l’amour, les questions environnementales, la place des femmes dans la société, la portée de la foi, etc. Il y a de fortes chances que vous trouviez un sujet qui vous parle dans Habibi. Pour construire le pays imaginaire où prend place l’action et se pencher sur toutes ces questions, Craig Thompson a pioché des références un peu partout. Que ce soit dans le passé comme dans le présent du Moyen-Orient, voir même dans les prévisions de ce que nous réserve un avenir malheureusement de plus en plus proche lorsqu’il se penche sur des questions écologiques.

 

Habibi (image © Craig Thompson)

 

Une richesse qui peut être une faiblesse

Cette richesse des thèmes et situations abordés, si elles donnent de la crédibilité à l’ensemble, fait que le lecteur doit accepter de se laisser porter par une histoire parfois déroutante. En effet à la lecture de Habibi il est parfois difficile de savoir où Craig Thompson souhaite nous emmener. Et pour être apprécié, le lecteur devra supporter de lâcher prise et accepter certaines ruptures de ton assez brutales. L’autre écueil vient de la note d’intention de l’auteur. En effet, Craig Thompson a affirmé plusieurs fois en interviews s’être lancé dans Habibi pour contrecarrer les poussées islamophobes qu’il voyait surgir dans les médias américains suite au 11 septembre. Pour cela, et alors qu’il n’était pas particulièrement spécialiste du sujet, il a souhaité réaliser un conte montrant la richesse de la culture musulmane dans son ensemble. Pour ce faire il a construit son univers sur des éléments tirés de diverses époques. Ainsi les grattes ciels et véhicules contemporains côtoient eunuques et harems. Le hic avec cette démarche c’est que l’auteur met sur le même plan des pratiques qui n’ont plus court depuis longtemps sur le même plan que des problématiques très actuelles donnant ainsi l’impression que les premières ont toujours cours. À cause de ça, et malgré ses bonnes intentions, l’artiste prend malheureusement le risque de faire perdurer certains clichés. ■

Habibi (image © Casterman)

 

Habibi est un roman graphique de 672 pages écrites et dessinées en noir et blanc par Craig Thompson. Publié à l’origine aux États-Unis chez Pantheon Books en 2011, il est sorti en France en 2016 chez Casterman, dans la collection Écritures.