Promethea, tome 1 : Initiez-vous à la magie et à la poésie avec Alan Moore et J.H. Williams III !

Promethea
(image © DC Comics, Urban Comics)
Temps de lecture estimée : 8 min.

C’est peu dire que la ré édition de Promethea était attendue. Troisième série phare de la gamme ABC, la Promethea d’Alan Moore et J.H. Williams III rivalise sans peine avec Tom Strong et Top 10. À travers l’exploration de l’image de la femme, Alan Moore nous convie à un voyage onirique à l’aube de l’an 2000, entre rêve et réalité. Enrobé de poésie, les charmes de Promethea se dévoilent grâce aux vers imagés d’un J.H. Williams III aux crayons magiques et endiablés.
■ par Fletcher Arrowsmith

 

(image © DC Comics, Urban Comics)

 

À l’aube du passage au nouveau millénaire, Sophie Bangs est jeune étudiante dans un New York futuriste, passionnée par Promethea, son sujet de thèse littéraire. Mais voici que bientôt elle se transforme réellement en ce personnage historique. Promethea se dévoile au monde en franchissant les barrières du monde réel pour explorer le monde de l’imaginaire, Immateria. Désormais princesse guerrière, Sophie Banks arrivera-t-elle à relever les défis d’un monde en perdition en proie à une multitudes de péchés ?

 

(image © DC Comics, Urban Comics)

 

Un récit intelligent et exigeant

Lire une œuvre d’Alan Moore est toujours une expérience particulière et Promethea ne déroge pas à la règle. De la gamme ABC, Promethea est le comics le plus ambitieux et celui qui demande le plus de références notamment littéraires. Certaines sont évidentes comme le Petit Chaperon rouge ou l’évocation des fées et autres arcanes issues du Tarot. Mais dès que l’on creuse un peu, les références à des poètes ou à des notion magiques ancestrales peuvent dérouter. On peut écrire sans mentir que la lecture de Promethea se mérite. À l’instar de Watchmen, la Ligue des gentlemen extraordinaires ou encore From Hell, les épisodes de Promethea proposent différents niveaux de lecture denses, riches et surtout complexes. La richesse des planches très colorées de J.H. Williams III facilite pleinement la prise en main. Graphiquement, on embarque facilement dans les aventures de Sophie Banks mais le niveau littéraire des textes et les concepts manipulés demande une attention supplémentaire. Cela rend à la fois la lecture plus passionnante qu’un comics ordinaire et surtout cela fait de Promethea un comics que l’on ne repose pas au bout de 10 minutes. Mais Alan Moore va plus loin et fait de Promethea un comics à la croisée des chemins entre le passé et le futur. Dans ce 1er tome, Promethea passera non sans mal le « terrible insecte » du 2nd millénaire. Décors plantés, il s’agira désormais de se dévoiler au monde en combattant des sociétés secrètes kabbalistiques, des monstres imaginaires et à apprendre les origines du monde et de la magie. Qui a dit que la lecture ne rendait pas plus intelligent ?

 

(image © DC Comics, Urban Comics)

 

Promethea, un récit sexuellement attirant

Alan Moore aime écrire sur le sexe. Necromicon, From Hell, La Ligue des gentlemen Extraordinaires ou encore et surtout Filles Perdues (Lost Girl en VO) comportent des scènes explicites mais jamais gratuites et méritant à chaque fois une réflexion plus poussées que les apparences. Avec Promethea tome 1, Alan Moore propose 2 approches. Tout d’abord il joue sur la sexualité des protagonistes. Sophie Banks est un personnage aussi ambigu sexuellement que les ex-avatars de Promethea. Traitée régulièrement de lesbienne et de salope par son amie Stacia, le doute sur les intentions et la sexualité de Sophie existe bien. Hétérosexuelle, lesbienne, bisexuelle : sous la plume d’Alan Moore, Sophie semble au-delà d’une simple définition. Et le scénariste va plus loin en en mélangeant la réalité et la fiction, l’enveloppe humaine de son avatar imaginaire et cela à travers les âges et les différentes incarnations d’une amazone au pouvoir de séduction évident et sexuellement attirantes. À bien y regarder Promethea est une pionnière transgenre et permet à Alan Moore de multiplier les possibilités comme autant de partenaires possibles. Tout comme il y a plusieurs Promethea il y a plusieurs sexes. Alan Moore offre aussi des réflexions intéressantes sur ce qu’est l’amour à l’aube de l’an 2000 à travers les messages du gorille qui pleurniche (Weeping Gorilla en VO) éparpillés dans les planches du comics. Enfin le scénariste de Tom Strong enfonce le clou en proposant un épisode entier sur un coït et l’atteinte de l’orgasme dans l’épisode 10 de Promethea, sans jamais tomber dans le voyeurisme ou la vulgarité.

 

(image © DC Comics, Urban Comics)

 

Une mise en abyme ludique et joueuse

Homme de lettres, Alan Moore trouve avec Promethea l’occasion de déclamer son amour pour la littérature. Mais le comics restant un divertissement, le scénariste ne nous assomme pas avec une tonne de référence bien lourdes à digérer. Au contraire comme pour Fables de Bill Willingham ou The Unwritten de Mike Carey, Alan Moore inclue la littérature au sein même des aventures de Promethea. Et c’est un Alan Moore facétieux que l’on découvre dans l’introduction au comics où il raconte l’histoire de Promethea à travers l’histoire et les auteurs qui lui sont associés. Alan Moore tisse les fils du destin du monde entrecroisant les mythes dans une mise en abyme malicieuse. Promethea existes tu ? Es-tu la muse prenant naissance aux origines du monde comme le prétend l’introduction passionnante d’un de tes scribes éternels ? Entre galette et mère grand, aux lecteurs de se faire leurs idées. Seule tu ne seras point, les précédentes incarnations y veilleront et t’éduqueront. Faits historiques ? Légendes ? Alan Moore nous met immédiatement en condition et on retrouve ensuite ses mêmes personnages dans les planches de Promethea. En effet Promethea prend possession des auteurs qui écrivent sur elles, qu’elles soient poètes, romancières, conteuses ou bien thésardes. Une véritable mise en abyme de la littérature à travers ses vrais faux acteurs de fiction dans une œuvre artistique. Alan Moore n’oublie pas non plus le media porteur qui nous rassemble. Déconstructeur de mythes, le gardien écrivain invite son amazone littéraire à croiser le caducée avec cinq sympathiques (les 4 Fantastiques), la poupée peinturlurée (le Joker) tout en faisant bien évidemment référence à Wonder Woman.

 

(image © DC Comics, Urban Comics)

 

Une expérience visuelle unique et signée J.H. Williams III

La grande force de Promethea reste l’adéquation parfaite entre un auteur et un illustrateur. Les concepts manipulés par Alan Moore sont loin d’être évidents et pourtant la lecture est fluide. Chez Alan Moore rien n’est innocent et il utilise pleinement le matériel à sa disposition en recherchant le meilleur des artistes qu’il emploie. Pour illustrer un tel récit, Alan Moore se devait de trouver son peintre. En la personne de J.H. Williams III l’auteur de Tom Strong trouve son Michelangelo. Dans des planches aux compositions sans cesse renouvelées, c’est la magie réincarnée qui flamboie sous nos yeux ébahis. Influence baroque et style renaissance, le génie protéiforme de J.H. Williams III explose littéralement. Quel que soit le sens de lecture, la Promethea de J.H. Williams III enlace les thèmes du scribe dans des tableaux richement colorés qui franchissent les frontières de la perception des mortels. L’illustrateur américain, connu des lecteurs français pour son travail sur Batwoman (paru chez Urban Comics), trouve donc en Promethea un défi à la hauteur du génie du script d’Alan Moore. 32 épisodes et 32 façons différentes de traduire les aventures magiques et immatérielles de la guerrière de l’Immateria. Une planche de bande dessinée possède un haut pouvoir visuel et c’est sur cela que jouent Alan Moore et J.H. Williams III. Aussi ardu que les thèmes et les concepts soient, les dessins et surtout les compositions de J.H. Williams III les rendent facile d’accès et surtout ludique. Les mots deviennent des images (épisode n°12, le mot « Promethea » est dérivée en autant d’anagrammes à chaque page), les boucles sont bouclées, le roman photo s’invite (épisode n°7), l’approche graphique épouse l’époque décrite (dans Promethea n°4 avec Charles Vess en invité de luxe), pleines pages ou planches à l’italienne (numéro n°11), arabesques dans le style Mucha ou bien jeux de piste ludique comme l’inventa Windsor McKay avec son Nemo in Slumberland, il faudrait plus qu’un paragraphe pour décrire l’inventivité graphique de Promethea. Et si rien n’est innocent, tout est étudié pour jouer avec le lecteur et l’immerger encore plus dans l’histoire. C’est tout simplement brillant et souvent étonnamment simple d’accès même quand Alan Moore hausse le ton. L’imagination délurée et sans limite de J.H. Williams III est au service de l’imaginaire.

 

Promethea
(image © DC Comics, Urban Comics)

 

Une nouvelle publication luxueuse

Entre 2000 et 2010, Promethea avait déjà atteint nos contrées par l’intermédiaire de Panini Comics. Les 32 numéros que comporte la série ont été publiés à l’époque sous forme de 7 albums. Depuis la reprise du catalogue DC par Urban Comics, Tom Strong et Top 10 avaient été à nouveau édités mais pas Promethea. Cela faisait donc plus de 10 ans que nous attendions cet album. Et force est de constater que l’édition d’Urban Comics est à la hauteur de l’attente. C’est sûrement un des plus beaux albums que j’ai pu avoir entre les mains de la part de l’éditeur de Batman en France.

 

Promethea
(image © DC Comics, Urban Comics)

 

Conclusion poétique

Fin d’année et esprit de fête inspirant, je me suis permis une envolée lyrique pour conclure et terminer de vous convaincre pourquoi il faut se procurer Promethea tome 1. N’y voyez surtout pas le fantasme de rédacteur mais plutôt la recherche créative, le délire d’un journaliste.

 

De part son aura légendaire

Il fallait un écrin pour plaire

Ce qu’Urban acta

Avec cette édition de Promethea

 

Pour un premier volume sur trois prévu

Douze numéros définissent ta première vie

Sublimée d’un blanc cassé vêtu

Promethea en lettre d’or, j’écris ton nom à la face de tous.

 

Le gardien originel me compose une introduction majestueuse

Tout en prose

Retraçant l’histoire de mon héroïne à travers les siècles

Pour donner corps à une histoire où fiction épouse réalité.

 

Et que dire de mes bonus

Prolongeant la magie d’un voyage déjà parfait.

Des douze covers hommages dans cet Urban Cult

Au script détaillé et imagé de mon troisième forfait.

 

Lectrices, lecteurs, restez encore,

Les sirènes du podcast nous appellent

Ouvrez grand les yeux, tendez l’oreille,

Aurélien Vives invite le grand traducteur devant l’éternel,

Jérémy Manesse à déguster l’hydromel. ■

(image © DC Comics, Urban Comics)

Promethea, tome 1 est un comics publié en France par Urban Comics. Il contient Promethea n°1 à 12.




A propos Stéphane Le Troëdec 631 Articles
Stéphane Le Troëdec est spécialiste des comics, traducteur et conférencier. En 2015, il s'occupe de la rubrique BD du Salon Littéraire. Ses autres hobbys sont le cinéma fantastique et les jeux. Enfin, et c'est le plus important : son chiffre porte-bonheur est le cinq, sa couleur préférée le bleu, et il n’aime pas les chats.