Troisième anthologie consacrée aux vilains de Batman, Batman Arkham : le Pingouin s’intéresse à ce personnage bizarre, dont on se demande comment il peut être un ennemi crédible. Un tour d’horizon des aventures du Pingouin, qui malheureusement ne réussit pas à donner de la profondeur à un personnage peut-être trop caricatural.
■ par Doop
Des débuts fastidieux
Le personnage du pingouin est apparu il y a très longtemps, 2 ans seulement après la création de Batman. C’est donc un vieux de la vieille et c’est avec 2 épisodes de 1941 qu’Urban débute son anthologie. En toute sincérité, les épisodes de Batman des débuts sont assez pauvres. On est très loin des grands strips de l’époque, avec des scenarii raffinés et des dessins magnifiques, comme Prince Valiant. Pourtant on peut parfois trouver quelques pépites, comme dans le volume sur Double-Face. Mais là, même pour des comics datant des années 40, c’est très médiocre. Dialogues bizarres, intrigue décousue, personnage très oubliable et défini uniquement par un gimmick, même pour les standards de l’époque, ce n’est pas suffisant. De fait, on s’ennuie un peu et on passe assez vite. Hormis une certaine curiosité, cela n’a pas grand intérêt.
Cela ne s’améliore pas 25 ans plus tard
Et même en faisant un bond dans le temps de 25 ans, le récit ne s’améliore pas du tout. Le 3e épisode, datant de 1965 et signé France Herron et Sheldon Moldoff ne décolle pas non plus. C’est au mieux médiocre, au pire totalement soporifique. On reste toujours dans le même ton et l’histoire est quasiment identique aux 2 précédentes. Trop caricatural pour être intéressant, il semblerait que dans ces années où voir un auteur tenter d’appréhender un personnage par son côté psychologique était rare, on se contente finalement de livrer une histoire sans relief. En gros le pingouin a un plan, il met en échec Batman et Robin avec ses parapluies et se voit battu d’un seul coup de poing. Il ne pose même aucune menace sur le plan des idées ou des plans machiavéliques. On retrouve tout de même le design caractéristique du personnage, ce qui n’était pas le cas avant. On se dit alors qu’en faisant un nouveau bond de 20 ans, on va pouvoir lire des récits plutôt modernes. Que nenni !
Quand même les années 80 ne parviennent pas à en faire un personnage intéressant
Les tourtereaux est un épisode datant de 1987 signé par Max Allan Collins et tout jeune Norm Breyfogle. Nous sommes quelques années après Watchmen et Dark Knight, les aspects sombres des personnages ont pignon sur rue, je m’attendais donc à trouver un récit un peu plus structuré. Il n’en est rien. Si c’est toujours agréable de voir les débuts de Norm Breyfogle, un artiste très important dans la carrière de l’homme chauve-souris et malheureusement décédé, on reste pantois devant un scénario assez indigent, abordant une fois de plus le personnage sur le ton de la comédie sans relief. Certains dialogues font peur et l’histoire est totalement décousue, à tel point qu’on ne comprend finalement pas grand-chose. C’est l’histoire peut-être la plus ratée du bouquin.
Les origines du pingouin
Jusqu’alors, les récits proposés dans cette anthologie ne se sont pas vraiment intéressés au passé du criminel. Ce qui est le cas ici. Dans cette histoire, on sent quand-même une grosse amélioration, même si cela reste encore assez superficiel. Il faut dire que nous avons Alan Grant au scénario, un expert dans les criminels de Gotham City. Surprise, il est accompagné de l’excentrique Sam Keith aux dessins, dans un style qui se rapproche de ce qu’on avait pu voir de lui sur Sandman, qu’il dessine à la même époque. Pas de quoi tomber à la renverse, mais c’est honnête, même si c’est rapidement expédié. Le ton se fait un peu plus sombre (ce qui n’est pas toujours un gage de qualité) et on se dit que l’on va assister alors à des histoires un peu plus homogènes sur le pingouin.
Neige et Glace
Nous avons ensuite droit à une histoire en 2 parties qui commence par la mort du pingouin et tirée de Detective Comics n°610 et 611. Ce sont encore Alan Grant et Norm Breyfogle qui officient aux manettes et franchement, ce n’est pas non plus très fameux ! L’histoire est assez alambiquée, il y a de grosses ellipses et cela part un peu dans tous les sens. Le personnage de Kadavre semble sorti de nulle part et n’est pas très développé. Un point fort toutefois : des dessins qui assurent ! Norm Breyfogle, encré par Steve Mitchell, propose des planches très stylisées que j’apprécie beaucoup. Mais cela ne suffit pas à sauver encore une fois un récit poussif et pas très intéressant.
Enfin un récit intéressant
Depuis le début du recueil, on se rend compte qu’il y a très peu de bonnes histoires. Je commençais à me demander alors s’il était réellement possible de faire quelque chose de bien avec le personnage. Et j’espérais que l’arrivée d’anciens comme Marv Wolfman sur l’arc L’affaire du Pingouin allait enfin pouvoir faire décoller ce volume. Et effectivement c’est nettement mieux. Attention, c’est loin d’être une histoire géniale ou originale, mais au moins elle nous propose un traitement cohérent, vraiment centré sur le pingouin. Bref, c’est une véritable histoire de Batman des années 90, qui nous propose en plus la 1ère apparition de Harold, qui jouera un rôle assez important pour la suite, notamment pour ceux qui ont pu lire les récits pré-No Man’s Land. Niveau dessin, nous avons trois dessinateurs emblématiques du personnage : le trop sous-estimé Jim Aparo, Norm Breyfogle et Mark D. Bright. Donc autant dire que c’est du solide. L’histoire m’a fait un peu penser aux oiseaux d’Alfred Hitchcock et c’est peut-être la toute 1ère fois depuis le début du récit que j’ai l’impression que le vilain est pris au sérieux.
Un pingouin triomphant
Ce one-shot livré par John Ostrander, Joe Staton et Bob Smith reste dans la continuité du précédent récit. On sent que le scénariste tente de proposer une histoire, encore une fois n’est pas très originale, mais qui tente pas mal de choses. Nous avons droit à des scènes fantasmées qui nous montrent comment se voit le pingouin dans ses rêves et c’est vraiment sympa. Pour le reste, c’est encore une histoire très classique, à base d’arnaque et de criminels arnaqueurs. Même si John Ostrander développe un peu le background d’Oswald Cobblepot en le mettant au contact d’anciennes connaissances. Aux dessins, c’est le peu populaire Joe Staton, dont le style rebutera certainement les plus novices des lecteurs habitués aux dessins modernes à la Jason Fabok, mais force est de reconnaître que c’est bien. Je ne supportais pas ce dessinateur il y a quelques années et je l’apprécie de plus en plus. Après, son style est toutefois bien uniformisé par l’encrage de Bob Smith. Et on a encore une fois un récit qui, contrairement à beaucoup des précédents, s’intéresse vraiment au personnage. Peut-être le meilleur du recueil.
Le retour du pingouin
En continuant sur la lancée des récits précédents, nous avons une arche narrative qui s’inscrit en plein milieu du run de Doug Moench et Kelley Jones avec le pingouin en protagoniste principal. Et en soi c’est assez sympa de voir le trait hyper stylisé de Jones sur ce personnage qui n’est pas fait pour être dessiné de manière réaliste. Du coup, le mélange entre l’aspect gothique des dessins et cartoony du pingouin fonctionne plutôt bien. Quant à l’histoire, elle est plutôt correcte, avec toute une réflexion sur la normalité des personnages. Après, on a encore une histoire avec une arnaque, un oiseau et une vengeance et ce n’est pas très original mais bien organisé. Une seule petite ombre au tableau, l’histoire est en plein milieu d’un récit et il y a des intrigues secondaires qui prennent de la place pour rien, comme avec Vesper ou encore toute l’intrigue qui tourne autour de Black Mask. Cela reste quand-même au-dessus de la moyenne.
Un récit anecdotique d’Ed Brubaker
L’avant dernier volume du récit s’inscrit dans le run plutôt réussi d’Ed Brubaker et Scott McDaniel sur Batman. Et on a une histoire auto-contenue, qui met encore une fois Batman et le Pingouin face à face. Et c’est sympathique. Mais sans plus. Vous savez ces histoires où l’on a une idée originale à la fin et qu’on essaye de développer toute l’intrigue pour arriver à cette conclusion ? Eh bien c’est exactement ce que vous allez trouver ici. Après, j’aime beaucoup les dessins de Scott McDaniel, même si je le trouve plus à l’aise sur le personnage de Nightwing. Là aussi, c’est sympathique mais plutôt anecdotique et l’intrigue n’est pas très puissante.
Une bonne conclusion
Ce recueil assez décevant s’achève toutefois sur une bonne note. Frank Tieri, s’il n’a pas toujours été très inspiré chez Marvel, a souvent livré de très bons récits situés dans l’univers de Batman. Après, et comme c’est de coutume dans ce recueil, nous avons droit à un récit plus que classique. Une histoire encore une fois qui tourne autour d’une vengeance mais qui pour peut-être la 1ère fois arrive à nous faire ressentir toute la part sombre du pingouin. Pas grand-chose à dire de plus, si ce n’est que Christian Duce livre lui aussi des dessins plutôt corrects. Par rapport aux récits précédents c’est quand-même plutôt au-dessus aussi même si cela reste encore une fois très anecdotique. J’ai un peu pensé à l’histoire interdite de Lex Luthor, dont les plus vieux d’entre nous se rappelleront.
Alors ? On le prend ?
En toute honnêteté, ce recueil consacré aux méchants de l’univers de Batman est le plus faible des 3 parus. Graphiquement, nous avons droit à des auteurs classiques, qui ont réalisé d’excellents runs sur le justicier de Gotham mais aucun qui ne sorte réellement du lot. Qu’on ne s’y méprenne pas, c’est toujours très sympa de voir des planches de Norm Breyfogle, Scott McDaniel, Jim Aparo, Kelley Jones mais ils ont tellement dessiné le héros qu’il n’y a rien de très surprenant. Je pourrais faire la même remarque sur les histoires, pas très originales et qui tournent toujours sur le même thème. J’ai l’impression d’avoir lu une dizaine de fois au cours de ce recueil une histoire où le pingouin tombe amoureux, tente une arnaque et se bat contre Batman avec des oiseaux contrôlés ou des chapeaux ridicules. Il n’est pas souvent pris au sérieux et l’on peut clairement se demander si c’est un mauvais choix d’épisodes ou bien le fait que ce personnage n’ait jamais trouvé de scénariste capable de le faire sortir de ses stéréotypes. Je pense que la réponse est un peu entre les deux. J’aurais bien vu des épisodes de No Man’s Land où le Pingouin prend toute son ampleur, mais je peux comprendre que ce soit compliqué au sein d’une anthologie. En clair, c’est difficile de proposer une anthologie quand, finalement, il y a eu très peu de récits d’envergure sur le personnage. ■