Pas facile de relancer une franchise comme les Quatre Fantastiques à l’époque en 2002, surtout quand les X-Men et les Avengers trustaient l’attention des fans. Et pourtant, Mark Waid et Mike Wieringo vont réussir ce tour de force avec un style bien à eux : fun, lumineux, accessible… mais pas dénué de profondeur. Dès les deux premiers épisodes du run, contenus dans le tome 1 de Fantastic Four par Waid et Wieringo, le ton est donné : Reed engage un communicant pour redorer l’image de l’équipe, Johnny devient responsable financier (haha), et les pages respirent une joie de vivre super-héroïque franchement contagieuse. C’est simple : on sourit.
Le trait rond et expressif de Mike Wieringo, rehaussé par les couleurs acidulées de Paul Mounts, impose un style visuel immédiatement reconnaissable. Ce début est un quasi-manuel de (re)présentation de personnages, pensé autant pour les nouveaux lecteurs que pour les fans de longue date. Mais ne vous fiez pas à la légèreté de façade : les auteurs vont très vite durcir le ton… et mettre les Fantastiques face à leurs pires cauchemars.

Des débuts hésitants mais prometteurs
L’arc « Équation », premier véritable affrontement du run, laisse un peu sur sa faim. Le vilain inédit n’est pas mémorable et l’ensemble donne l’impression d’un brouillon d’idées pas encore digérées. On sent pourtant une volonté de bien faire : confronter Reed à une de ses inventions qui tourne mal, jouer la carte du drame scientifique… mais ça ne prend pas totalement. Heureusement, l’équipe artistique est solide et parvient à faire passer la pilule grâce à un découpage dynamique et une bonne dose d’action.
Même constat pour l’arc suivant, un diptyque avec un monstre insectoïde venu du « Latoyavers » (oui oui). Rien d’infamant, mais pas non plus de quoi rester dans les mémoires. Surtout que Mike Wieringo cède sa place à Mark Buckingham, dont les planches pâtissent d’un encrage mollasson. Pourtant, tous les éléments sont là, en germe : de l’humour, de l’émotion, des pistes de fond. Et justement, ce qui suit va tout exploser.

Quand Fatalis rime avec chef-d’œuvre
« L’Appel des ténèbres » est le moment-charnière de ce run Fantastic Four. Un Docteur Fatalis terrifiant y abandonne la science pour se tourner vers la magie noire, et fait vivre aux Quatre Fantastiques l’un de leurs pires cauchemars. Utilisation de Valeria, torture de Franklin, Reed défiguré… la violence est autant physique que psychologique. Et le lecteur en ressort sonné.
Là où d’autres auraient effacé les conséquences en trois pages, Mark Waid prend le parti inverse : il s’attarde. Longuement. Les cicatrices sont visibles, les rapports changés, l’équipe vacille. Le feel-good s’est transformé en dépression. Et ça fonctionne parfaitement. Fantastic Four passe alors un cap, affirmant une ambition rare pour une série souvent cantonnée au soap spatial familial.

La politique selon Reed Richards
Suit un arc polémique où les 4 Fantastiques tentent de libérer la Latvérie du joug de Fatalis… mais finissent par se comporter comme des envahisseurs autoritaires. Reed, notamment, franchit des lignes rouges, manipulant, contrôlant, imposant sa vision du bien. Le propos est passionnant, voire vertigineux : peut-on imposer la démocratie à un peuple qui n’en veut pas ? Est-ce vraiment mieux que la dictature ?
C’est audacieux, c’est brillant, mais pas sans défaut. Les tensions internes entre les membres sont bien vues, mais les dessins de Howard Porter peinent à convaincre. Surtout après Wieringo. Et puis il y a cette fin tragique : la mort de Ben Grimm, qui pousse l’équipe au bord de la rupture. Encore une fois, Fantastic Four ose ce que peu de comics mainstream se permettent.
Retour vers la lumière
Reed décide de ramener Ben. C’est l’arc « L’Au-delà », probablement l’un des plus beaux récits de tout le run. Non seulement Mike Wieringo est de retour, mais il est en feu : planches éclatantes, découpage inventif, émotions à fleur de case. Et surtout, cette idée géniale : les 4 Fantastiques rencontrent Dieu… qui a le visage de Jack Kirby. Hommage poignant, et manifeste d’amour pour les origines de l’univers Marvel.
C’est une déclaration d’intention : Fantastic Four par Waid et Wieringo est une lettre d’amour aux comics, à l’imaginaire, à la famille. Reed, Johnny et Sue retrouvent peu à peu leur cohésion, autour d’un Ben ressuscité. On revient alors vers quelque chose de plus léger, plus drôle. Comme un rayon de soleil après la tempête.

La famille avant tout
L’arc « Famille, je vous hais ! » joue la carte du fun avec un Johnny confronté à sa propre popularité, secondé par Spider-Man. Deux épisodes qui permettent de souffler, de rigoler, et de profiter du trait cartoon d’un Mike Wieringo au top. On notera d’ailleurs que l’artiste avait un amour sincère pour ces personnages, perceptible dans chaque case.
Puis vient Paco Medina au dessin pour un arc plus anecdotique autour des « Terrifics », une équipe de vilains un peu ringards. C’est sympathique, mais dispensable. Heureusement, l’histoire suivante relève le niveau avec une idée audacieuse : et si on échangeait les pouvoirs de Johnny et Sue ? Là encore, Fantastic Four continue d’explorer ses personnages plus que ses bastons.
Et Galactus dans tout ça ?
Il fallait bien un final avec Galactus, et Mark Waid s’y attelle… mais à sa manière. Au lieu de la traditionnelle bagarre cosmique, il choisit une introspection : c’est Johnny qui devient le héraut du dévoreur de mondes, pendant que Reed envisage de devenir la nouvelle Chose. Une remise en question totale des rôles au sein de l’équipe.
C’est osé, parfois frustrant car ça n’explose jamais comme attendu, mais toujours passionnant. Mark Waid fait le choix du fond plutôt que de la forme, et donne à Galactus une dimension presque métaphysique. Fantastic Four par Waid et Wieringo ne se termine pas dans un feu d’artifice, mais dans une méditation élégante sur l’humanité.
Un run essentiel, tout simplement
Au final, les deux tomes de Fantastic Four par Waid et Wieringo constituent un indispensable. Pas seulement parce qu’ils sont à petit prix dans la collection Marvel Poche. Pas seulement parce qu’ils redéfinissent avec intelligence les personnages, mais surtout parce qu’ils oscillent entre émotion sincère, humour bien senti et réflexions profondes. Tout en restant lisibles et fun. Un équilibre très difficile à atteindre.
Et que dire de Mike Wieringo ? Son style, souvent qualifié de « cartoony », est en fait d’une justesse folle. Accessible, mais jamais simpliste. Élégant, mais jamais prétentieux. Il donne aux Quatre Fantastiques un supplément d’âme graphique, qui rend leur aventure intemporelle. Bref, ces 2 tomes méritent une place de choix dans votre bibliothèque. Une œuvre lumineuse, émouvante, inoubliable.
Fantastic Four par Waid et Wieringo est un comics publié en 2 tomes chez Panini Comics.