TopComics poursuit son hommage à Steve Ditko avec un focus sur le personnage de Spider-Man et la manière dont ses aventures ont été façonnées par le processus de travail de Steve Ditko et Stan Lee.
■ par Doop
Comme pour beaucoup de héros, les origines de Spider-Man sont tragiques et résultent d’un véritable trauma auquel s’ajoute un sentiment de culpabilité. Si Bruce Wayne ne peut rien faire pour empêcher ses parents de mourir, Peter est en revanche indirectement responsable de la mort de Ben, son oncle adoptif, ce qui ne s’est encore quasiment jamais vu dans le monde des super-héros. Le fait d’utiliser un adolescent avec des problèmes réalistes permet de plus une réelle identification des lecteurs de l’époque dont beaucoup subissent les mêmes brimades que Peter.
Steve Ditko, chef d’orchestre de la part sombre de Spider-Man
Au final, Stan Lee et Steve Ditko réutilisent les mêmes ficelles que DC Comics et compagnie dans les années 40 (l’identification au public) mais les adaptent aux angoisses de l’époque (le mal-être des adolescents) en se focalisant beaucoup plus sur Peter Parker que sur Spider-Man ! C’est même une des rares fois où un super-héros est plus défini par la personnalité de son identité civile que par ses pouvoirs ou ses origines. Bruce Wayne ou Clark Kent ne font que de brèves apparitions dans les pages de leurs comics respectifs. Par contre, dès le 1er numéro, Peter est plus présent que Spider-Man. À travers cette approche novatrice, il faut bien sûr y voir la volonté de Stan Lee mais surtout celle de Steve Ditko. Ce dernier cherche avant tout à réaliser une série ayant pour thème principal le sentiment d’abandon chez les jeunes Américains. Steve Ditko pousse la série vers une direction plus sombre, et comme c’est lui qui effectue le découpage mais aussi la mise en scène de l’histoire, c’est finalement à Stan Lee d’adapter ses dialogues pour coller au mieux au ton tragique initié par son dessinateur.
Quand le passé de Stan Lee ressurgit…
Ce processus peut sembler être un véritable challenge pour Stan Lee, plus habitué aux dialogues humoristiques et au comique de situation dans des séries comme Millie The Model ou Sherry the Showgirl. Mais c’est oublier son enfance difficile. Pour livrer des dialogues en adéquation parfaite avec les images de Steve Ditko, Stan Lee n’a qu’à se replonger dans ses souvenirs d’adolescent, de son quotidien auprès d’un père dépressif (et régulièrement au chômage) ou à la personnalité protectrice de sa mère. Ainsi, le personnage de tante May doit son caractère attentionné à la mère de Stan Lee. Le pari est immédiatement réussi : l’épisode de Spider-Man est un succès et les lecteurs réclament à cor et à cris la suite des aventures de l’Homme-Araignée. Martin Goodman, le président de Marvel, supprime pourtant comme prévu Amazing Fantasy tout en demandant bien évidemment aux 2 auteurs de prolonger l’aventure et de plancher sur une série régulière Spider-Man.
Une nouvelle série dans le prolongement d’Amazing Fantasy
Six mois après Amazing Fantasy #15, Amazing Spider-Man #1 débarque donc dans les kiosques. Notez la présence du tiret entre le « Spider » et le « Man » de sorte que les lecteurs ne fassent pas l’amalgame avec Superman. Ce nouveau titre remplace la revue Linda Carter, Student Nurse qui ne fait plus vraiment recette. Les thèmes abordés lors de la toute première apparition de Spider-Man (un adolescent à problèmes et un casting développé de manière réaliste) sont réutilisés et amplifiés. Le ton de ce soap opera fait écho à celui des nombreuses comédies adolescentes qui tournent en boucle à la télévision. Peter doit désormais s’occuper moralement et financièrement de May, sa vieille tante fragile qui vient de perdre son mari. Comble de l’ironie : pour gagner un peu d’argent, il doit se résoudre à vendre des photos de Spider-Man au Daily Bugle, un quotidien qui les utilise pour dénoncer les agissements du justicier.
Spider-Man, un héros à 2 facettes
Si les situations dans lesquelles se retrouve Peter Parker sont graves, celles que doit affronter Spider-Man sont exposées avec un ton plus léger. Depuis toujours, Stan Lee a dissimulé ses problèmes personnels en utilisant l’ironie et l’humour et c’est ce qu’il reproduit dans sa série. Peter, plutôt sombre et taciturne, vit la plupart du temps des évènements dramatiques. Mais une fois transformé en Spider-Man, il devient une véritable machine à vannes et à blagues, ridiculisant ses adversaires avec des boutades et des jeux de mots. Steve Ditko voulait créer un adolescent malchanceux qui se transformait en un héros torturé. Mais, grâce à ses dialogues plein d’esprit, Stan Lee en fait un personnage qui vit sa transformation comme un exutoire, laissant de côté sa timidité et ses angoisses dès qu’il revêt son costume rouge et bleu et ses lance-toiles. L’ambivalence et la double psychologie associée plus ou moins involontairement au héros par les 2 auteurs va immédiatement faire mouche auprès des lecteurs.
Marvel : un univers partagé
Ce 1er numéro d’Amazing Spider-Man est essentiel à plus d’un titre pour Marvel. En dehors de présenter pour la 1ère fois le personnage du Caméléon, il entérine la notion d’univers partagé entre les séries de la future Marvel. En effet, dans les toutes dernières pages de la revue, Spider-Man, en manque d’argent, propose spontanément sa candidature aux…Quatre Fantastique ! Mais par la suite, lorsqu’ils lui apprennent que les membres du groupe ne touchent aucun salaire, Spider-Man refuse finalement leur invitation. Cette notion d’univers partagé est primordiale chez Marvel, et le succès de Spider-Man contribue à imprimer cette idée dans l’esprit des lecteurs que les super-héros Marvel évoluent dans un New York peuplé de nombreux super-héros qui se connaissent plus ou moins. ■