Dans cette interview, Darick Robertson évoque le début de sa carrière. Le dessinateur de The Boys fait aussi le point sur son actualité mais également sur une année mouvementée et riche en surprises !
■ Par Fletcher Arrowsmith
Le dessinateur Darick Robertson était une des vedettes invitées au Paris Manga & Sci-Fi Show d’octobre 2019. Nos rédacteurs, Fletcher Arrowsmith et Christophe Colin, ont pu le rencontrer le temps d’une interview où Darick Robertson évoque ses premiers travaux professionnels, son travail sur les war comics, The Boys et ses projets plus personnels.
Top Comics (TC) : Notre 1re question va nous faire faire un bond dans le passé ! Pourriez vous nous raconter vos débuts et précisément votre 1er comics ?
Darick Robertson (DR) : C’était en 1986 avec Space Beaver, le castor de l’espace. Space Beaver est une bande dessinée indépendante en noir et blanc, que j’ai écrite et dessinée. Au début c’est une blague, un personnage que j’ai inventé à 16 ans lors d’une summer school (aux États-Unis l’école ou l’université peut ouvrir pendant l’été pour des programmes spéciaux). J’ai commencé à dessiner pour m’amuser et je ne m’’attendais pas que cela soit mon 1er comics publié. À l’époque Les Tortues Ninja étaient vraiment populaire et tout le monde cherchait à faire le prochain Tortues Ninja. Tous ceux qui savaient faire une bande dessinée en noir et blanc comme Les Tortues Ninja tentaient leur chance pour faire comme Kevin Eastman et Peter Laird (les créateurs des Tortues Ninja). Tout le monde était impatient de se faire publier. Vous mettiez en vente votre comics à 1,99 $ et en une semaine il en valait 10 $ parce que cela se vendait très bien. Donc je voulais être également publié. J’ai rencontré un gars qui travaillait comme agent de sécurité à mon travail après l’école, le talentueux Michio Okamura. Il était encreur chez des petites maisons d’édition. Il travaille maintenant dans l’univers des jeux vidéo. Michio faisait un super travail et je lui ai montré le mien. Puis nous sommes devenus amis. À l‘époque, je dessinais planche par planche, pour m’amuser. J’inventais au fur et à mesure. Il a aimé mon travail puis il m’a donné plein de conseils de professionnel que j’ai rapidement utilisés pour passer de mes planches de dessins à un véritable comics. J’ai amené le projet de Space Beaver sur lequel je travaillais à un petit comics shop de ma ville natale. Le propriétaire du comics shop m’a dit : « c’est super ton truc, tu ne peut pas être publié en back up d’autre publication sans être payé en plus. Je vais t’éditer, te payer moi même et je mettrais Space Beaver dans ma boutique ». Puis il a décidé de publier Space Beaver en nommant la boite d’édition « Ten Bucks Already » (1 buck = 1 dollar) en référence à de ce que je vous ai dit auparavant. Et puis nous l’avons changé en « Ten Bucks Comics ». Space Beaver fut le seul titre à être publié chez Ten Bucks Comics. Nous avons fait 11 numéros. J’ai écrit et dessiné chacun d’entre eux. Nous n’avons pas gagné d’argent parce que juste après avoir lancé Space Beaver, le marché des comics indépendant en noir et blanc s’est effondré. Et cela pourrait résumer l’histoire de ma carrière (Darick Robertson sourit à ce moment-là). Juste quand j’arrive et que je fais quelque chose, tout change et je suis toujours le dernier à la fête. Comme si j’arrivais en disant « hey je suis enfin arrivé ! » et que tout le monde s’en va !
TC : Et vous vouliez devenir dessinateur de comics après Space Beaver ?
DR : Mon rêve était de travailler pour Marvel et DC. J’avais pris l’habitude de dessiner Wolverine ou Spider-Man. Mon book était rempli de dessins de personnages de Marvel et de DC comme Batman, par exemple. J’aimais bien dessiner Batman. Et depuis j’ai réalisé ce rêve. J’ai dessiné pour Marvel et DC. Je l’ai fait. J’ai bossé sur Wolverine et sur Spider-Man et j’ai eu une superbe carrière chez Marvel. Dessiner et créer ont toujours été les forces motrices de ma vie. Je veux créer encore plus de nouvelles choses que par exemple travailler sur les personnages DC et Marvel.
TC : Au cours de votre carrière, on constate que vous avez travaillé sur pas mal de comics de guerre (Fury, Punisher Born…). Avez vous une affinité particulière pour les war comics ?
DR : J’aime bien dessiner ce genre de comics, des comics avec de l’action. Garth Ennis est un véritable maniaque pour l’exactitude. Par exemple j’ai appris beaucoup de choses sur la guerre à propos de l’armement ou de ce que les gens ont traversé. J’ai beaucoup appris sur l’Histoire en travaillant avec Garth Ennis sur les war comics surtout à cause de la somme de recherches que j’ai effectuées notamment sur Publisher : Born. Mais c’est difficile pour moi de dire que j’aime ça parce que cela représente un travail difficile. Par exemple si je dessinais un M16, le fusil d’assaut standard de l’armée américain, et qu’il ne ressemblait pas à un M16, Garth le saurait. Il m’envoyait des tonnes de photos de référence sur les fusils ce qui m’a amené à faire encore plus de recherches pour être très précis. C’était un peu déchirant de se rendre compte que c’était à la fois vraiment amusant de dessiner des war comics et de l’apprécier de façon abstraite car de vrais gens sont morts. Ils y ont perdu leur vie, abandonné leur jeunesse ou sont repartis blessés à jamais et ce n’est guère amusant. Et cela me rend très respectueux. Quand je dessine un war comics, j’essaie de ne pas la dessiner comme drôle ou exaltante. Je veux me faire mal. Si je fais mon travail correctement alors le lecteur ne se sent pas bien quand il est en train de lire ce type de comics. La guerre, c’est quelque chose d’horrible et je veux que mon travail le fasse ressentir.
TC : Le 4e numéro d’Oliver, votre interprétation d’Oliver Twist, le roman de Charles Dickens, doit paraître la semaine prochaine (cet entretien se déroule le samedi 5 octobre). Pourquoi seulement 4 numéros depuis le début de l’année (Oliver n°1 a été publié en janvier 2019) ?
DR : Oliver est un comics indépendant publié par Image Comics. Nous n’avons pas beaucoup de trésorerie d’avance mais je ne le fais pas vraiment pour l’argent. C’est la 1re fois que je dois me battre pour ce que je sais être juste. Et réaliser un comics annoncé comme mensuel est délicat. Car même on le sortant régulièrement, les ventes baissent car les gens attendent le trade parperback. Sur The Boys, face au succès du comics, nous avions du travailler de plus en plus vite pour une sortie mensuelle et, pour différentes raisons, je n’ai pas pu dessiner tous les numéros qui ont été confiés à d’autres artistes. Cela donne une impression de précipitation. Je déteste ça en tant que fan de comics. Je veux une équipe d’artistes fidèles et que le résultat paraisse incroyable. Parce qu’ils sont en tête de gondole Transmetropolitan et The Boys sont actuellement lus comme des nouveautés alors que j’y ai travaillé dessus il y a presque 10 ans. Donc, quand vous y réfléchissez, il y a un côté ridicule à la situation. Mais je n’ai pas voulu ça avec Oliver. J’ai pris très soin de ne pas rater les dates de sortie annoncées, à l’exception du n°3 car il y a eu un imprévu. Cependant, je voulais m’assurer que Image était d’accord avec le principe : « Ok, vous pouvez avoir du retard et repousser la date de sortie mais nous voulons quand même travailler avec vous ». J’ai également vécu une expérience qui a changé ma vie, juste après avoir terminé de dessiner le 3e numéro d’Oliver. Ce fut l’adaptation en série de The Boys et je ne l’avais pas vu venir. Je n’avais aucune idée de comment cela allait affecter mon quotidien ou ma vie. C’était comme si j’avais pris un mur en pleine face mais d’une bonne façon cette fois. Je pensais que malgré cela je pourrais rattraper les légers retards sur Oliver. Mais sur ce comics je dessine sur des planches papiers. Tous les décors sont réalisés au crayon. Cela prend du temps et je veux surtout ne pas sortir un comics de façon précipité où en le regardant je me serais dit que cela aurait pu être tellement mieux. Je sais qu’à chaque fois qu’un numéro d’Oliver sort, vous obtenez mon meilleur travail. C’est un comics qui me tient à cœur. Il fallu du temps pour trouver un éditeur. Et il n’y a eu personne de plus patient que Gary Whitta, le co scénariste, mais en fin de compte, je sais que nous faisons quelque chose de spécial. Je suis soutenu. J’ai toute la liberté que je souhaite. Je ne le fais pas pour gagner beaucoup d’argent. Je le fais parce que j’y crois. Je pense d’ailleurs que c’est mon meilleur travail. J’adore travailler avec Gary Whitta et encore plus ce que nous créons ensemble. Je veux juste qu’un projet soit le reflet de ce en quoi je crois. Je suis entouré de la même équipe depuis le début : Gary Whitta, Diego Rodriguez, Simon Bowland, Drew Gill. Je travaille avec le même coloriste, Diego Rodriguez, qui est dévoué à ce comics. Ça me rend très excité quand je pense à ce qu’Oliver peut être et à tout ce que je peux y apporter. Je suis désolé pour les retards mais je pense que ça vaut la peine d’attendre.
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TC : Au fait, à Top Comics, nous avons lu et apprécié DCeased : a Good Day to Die, notamment votre segment.
DR : Merci beaucoup.
TC : Vous avez dessiné Harbinger Renegade chez Valiant. Avez-vous d’autres projets pour cet éditeur très apprécié en France ?
DR : Je suis toujours en contact avec Valiant. C’est juste que ce n’est pas le bon moment. Avec Oliver je ne me vois pas faire autre chose à côté. Sauf quelques pages comme DCeased : a Good Day to Die, que j’aurais aimé faire en entier, notamment à cause de l’excellent scénario de Tom Taylor. J’ai adoré travailler avec lui et nous avons depuis des projets ensembles. J’essaye quand même de trouver d’autres projets en plus de mon travail sur Oliver afin de pouvoir continuer à réaliser des travaux qui me tiennent à cœur. Je me suis mal organisé l’année dernière et j’ai eu du mal à atteindre mes objectifs. 2017 fut une année de folie, qui aurait pu mal tourner et en 2018 j’ai rattrapé mon retard. Je pense que 2020 sera meilleure et verra la sortie de nombreux numéros ! ■
Merci à Sarah Marcadé et Xavier Fournier pour l’organisation de cette interview.
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