Qui a tué les superhéros du Sanctuaire, la maison de repos secrète des justiciers DC Comics ? Batman, Superman et Wonder Woman mènent l’enquête sous la direction d’un Tom King peu inspiré. Reste les splendides dessins de Clay Mann et cie pour rehausser le niveau de cette toute petite Crise…
■ par Stéphane Le Troëdec
Où vont les superhéros lorsqu’ils veulent prendre un peu de repos et de recul ? Au Sanctuaire. Cet espace secret et isolé leur permet de soigner leur blessure et de se reconstruire après un stress post-traumatique. Le tout dans le plus parfait anonymat. Seulement un beau matin Superman, Batman et Wonder Woman découvre que le Sanctuaire est devenu le théâtre d’une tuerie de masse : un mystérieux assassin a massacré les occupants du Sanctuaire ! Le trio se lance aux trousses de Booster Gold et de Harley Quinn, en fuite. Les 2 personnages sont les principaux suspects car s’accusant mutuellement de ces crimes…
Clay Mann, brillant chef d’orchestre graphique
Avant d’attaquer le scénario d’Heroes in Crisis, parlons un instant du gros point fort de cet album : ses dessins ! Clay Mann livre ici une prestation d’excellente tenue, ce qui ne surprend finalement pas, tant l’artiste a progressivement levé son niveau ces dernières années. Sans compter que le gros event mainstream annuel n’est pas une partie de plaisir pour l’artiste en charge : réunir autant de personnages peut devenir compliquer à gérer. Clay Mann s’en sort magnifiquement dans l’ensemble, soignant aussi bien les détails que les moments forts .Tout au plus on pourra lui reprocher certaines scènes qui dépareillent avec le reste (la Lois Lane en petite culotte était-elle nécessaire ?). Autre mot d’ordre : la cohérence visuelle. Clay Mann ne dessine pas tous les épisodes, mais les artistes « remplaçants » invités trouvent leur place, se fondent dans une harmonie graphique bienvenue, que ce soit Lee Weeks ou Travis Moore. Bref, Heroes in Crisis en impose visuellement.
Identity Crisis
Malgré la mention « Crisis » dans son titre, Heroes in Crisis n’entretient aucun rapport avec les sagas interdimensionnelles et historiqies de DC Comics. De ce point de vue, Heroes in Crisis lorgne beaucoup plus vers Identity Crisis : peu de bagarres, et une grosse enquête dans les coulisses, pas très joyeuses, de la communauté superhéroïque. Ne vous attendez donc pas à un comics bourré d’action ! En effet, Heroes in Crisis s’intéresse plus à la résolution du crime et à ses origines qu’à un feu d’artifice de combats. Hélas pour Tom King, le scénariste, s’il réussit plutôt bien à se dépêtrer de certains problèmes, à capter l’attention et à générer du suspense, Heroes in Crisis ne tient pas sur la longueur et finit par sombrer dans ses 2 derniers épisodes. Et je ne parle pas du comportement incohérent de certains personnages…
Suspension de crédulité au maximum
Premier soucis d’Heroes in Crisis : dès le début, il faut s’armer d’une suspension de crédulité à toute épreuve. En effet, dès les 1res pages, difficile de ne pas être un minimum sceptique face à ce Sanctuaire. Une excellente idée, malheureusement mal exécutée. La thérapie pratiquée au Sanctuaire consiste en partie à parler face caméra, pour lâcher prise, s’exprimer librement, et surtout « promis, juré, craché : on ne garde aucun enregistrement, tout est anonyme ». Et devinez qui a été chargé d’installer le système ? Batman, le même qui, des années auparavant, montait des dossiers sur tout le monde ! Passons… Au Sanctuaire, tout le monde porte un masque et une grande toge blanche pour assurer l’anonymat. Oui mais comme on nous montre tous les occupants portant leurs costumes sous cet accoutrement, il semble difficile de croire que l’anonymat soit assuré. Dès lors, certaines cohabitations me paraissent relativement compromises au Sanctuaire… Enfin, Tom King choisit d’assassiner des personnages secondaires mais d’autres un peu plus de 1er plan. Encore une fois, on a du mal à la lecture de croire que l’éditeur DC Comics va se passer définitivement de tel ou tel perso… Bref, dès le 1er épisode, Heroes in Crisis se heurte à un gros problème : on n’y croit tout simplement pas (ou trop difficilement). Du coup, toute l’attente se reporte sur la conclusion. Car une fin brillante aurait pu récupérer le coup.
Un personnage bien malmené
Par respect des lecteurs, je ne spoilerai pas la fin d’Heroes in Crisis. Cela dit, le choix que fait Tom King est pratiquement révoltant, tant dans le personnage choisi pour être l’assassin que dans la manière d’orchestrer son crime de masse. On dira simplement que Tom King avait l’embarras du choix, surtout vu les motivations évoquées. Mais il prend un personnage qui finalement a déjà été bien malmené par DC Comics, et on va dire qu’il n’avait vraiment pas besoin de ça. Surtout si on ajoute à cela que d’autres personnages se prêtaient bien à la situation, et auraient pu agréablement relancer leurs aventures solo.
Un gaufrier redondant et superficiel
Tom King, c’est un peu le roi du gaufrier à 9 cases. Regardez son Mister Miracle ou d’autres de ses œuvres : Tom King affectionne cette disposition de planche en 3×3 cases. Dans Heroes in Crisis, cette mise en page est utilisée pour rapporter au lecteur des extraits d’enregistrements réalisés au Sanctuaire. L’enquête d’Heroes in Crisis est donc souvent entrecoupée de ce 3×3 où des persos DC Comics nous livrent ce qu’ils ont sur le cœur, après un combat, une blessure. Ce pourrait être un bon moyen d’évoquer la personnalité d’un héros. Hélas, dans Heroes in Crisis, Tom King l’utilise la plupart du temps comme clin d’œil complice aux lecteurs, pour la blague. Voir Catwoman faire « miaou », c’est une facilité, et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres (le summum étant ce que Tom King fait des différents Robin…). Au final, il ressort d’Heroes in Crisis une bonne idée, joliment illustrée, mais gâchée par une exécution maladroite et une résolution en-dessous de ce qu’on pouvait attendre. ■
Heroes in Crisis est un comics publié en France chez Urban Comics.