Rick Remender n’a jamais eu peur des grands écarts, et Les sœurs Seasons en est une belle preuve. D’un côté, on a l’impression de lire une BD héritée de Tintin, Hayao Miyazaki et Bone, avec une postière sur sa Vespa qui s’évertue à rattraper une enveloppe virevoltante et capricieuse. De l’autre, on sent poindre une noirceur insidieuse, avec un cirque inquiétant et des clowns à l’air beaucoup trop joyeux pour être honnêtes. Bref, le mélange est aussi déstabilisant qu’intrigant, et il faut accepter de se laisser porter sans tout comprendre tout de suite. Parce que oui, l’intrigue prend son temps pour se mettre en place. Mais le charme opère.
Là où le tome 1 des Sœurs Seasons fonctionne, c’est dans cette façon de faire passer le lecteur d’un gag slapstick à une ambiance de conte cauchemardesque. Spring, la petite sœur postière insouciante, porte l’histoire avec son énergie, ses maladresses et son optimisme forcené. Impossible de ne pas sourire quand elle traverse une corde à linge ou discute avec son poisson rouge… jusqu’à ce que les clowns s’invitent à la fête. Et là, l’histoire bascule.

Les sœurs Seasons : des héroïnes complémentaires
Spring n’est pas la seule héroïne de l’album : on découvre aussi les trois autres sœurs, toutes très différentes, toutes fascinantes à leur manière. Autumn l’aventurière rêveuse, Winter la glaciale aux réactions imprévisibles, et Summer la diva égoïste qui se pavane comme une star. Ensemble, elles forment un quatuor plein de contrastes. Et Rick Remender réussit à capter quelque chose de très juste dans les dynamiques fraternelles : complicité, agacement, chamailleries, mais surtout une loyauté indestructible.
C’est là que Les sœurs Seasons frappe fort : derrière les gags et l’étrangeté, on touche à des émotions bien réelles. La famille, les rancunes entre sœurs, la difficulté de se comprendre quand on n’a pas le même caractère… tout ça est traité avec finesse, sans jamais basculer dans le pathos. Même quand Winter balance ses piques glaciales, même quand Summer fait sa diva insupportable, on sent l’amour en filigrane. Et c’est ce qui donne au récit toute sa singularité et son humanité.

Un cirque inquiétant
Mais ne vous fiez pas trop aux couleurs chatoyantes ni aux gags : ce tome 1 installe aussi un vrai malaise. Ce cirque qui débarque en ville, c’est l’ombre au tableau. Ses clowns grotesques mais inquiétants, son meneur de piste aux discours hypnotiques, ses numéros qui semblent tout droit sortis d’un rêve fiévreux… tout sonne faux. Comme un sourire figé qui cache quelque chose de monstrueux.
Remender et Azaceta réussissent un tour de force : transformer un univers bon enfant en menace rampante. Plus on avance, plus l’impression grandit que quelque chose de fasciste, de totalitaire, se cache derrière les confettis et les projecteurs. Et c’est là que le récit gagne en profondeur. Les sœurs Seasons ne vont pas seulement affronter des clowns : elles vont devoir lutter contre un pouvoir qui corrompt et dévore.
Le dessin de Paul Azaceta, star de Les sœurs Seasons
Difficile de parler des sœurs Seasons sans évoquer Paul Azaceta. Déjà brillant sur Outcast, son trait est tout simplement parfait pour ce mélange de fantaisie et de noirceur. Capable de passer du burlesque le plus cartoonesque à des planches qui font froid dans le dos, il donne au récit une fluidité incroyable. Une Vespa qui dévale les pavés, un clown trop coloré, un décor lunaire : tout est immédiatement vivant, dynamique, bref évocateur.
Ajoutez à ça les couleurs vibrantes de Matheus Lopes, et vous obtenez un univers visuel unique. Les tons chauds rendent les scènes légères encore plus drôles, tandis que les aplats surréalistes plongent le cirque dans une ambiance cauchemardesque. Graphiquement, c’est une claque, et sans ce duo d’artistes, la série n’aurait pas du tout le même impact.

Les qualités et défauts des sœurs Seasons
Alors oui, il faut être honnête : ce n’est pas un comics qui plaira à tout le monde. Le rythme est lent, parfois même contemplatif. Les séquences de petit-déjeuner ou de course après une enveloppe pourront en frustrer plus d’un. Mais c’est précisément dans cette respiration que la série trouve son ton singulier. Rick Remender ne balance pas son intrigue comme un blockbuster, il prend le temps d’installer ses personnages et leur monde.
En contrepartie, quand la tension monte, on est déjà attaché aux sœurs Seasons, et le malaise n’en est que plus efficace. Si vous cherchez une lecture immédiate, simple et directe, passez votre chemin. Mais si vous aimez les récits qui mélangent poésie, mystère et étrangeté, ce premier tome est une vraie pépite. Et clairement, la suite promet d’être encore plus sombre.

Les Soeurs Seasons est un comics publié en France par Urban Comics. Il contient : The Seasons #1-4