
Lancée comme une série ambitieuse, Batman : Dark Patterns plante le décor dès les premières pages : une Gotham qui sent la violence, le sang, noyée sous la pluie . Dan Watters et Hayden Sherman ne cherchent pas à faire dans le spectaculaire tapageur. Leur ambition ? Revenir à l’essence du Chevalier Noir : un détective hanté par la corruption, les secrets, et les ruelles trop sombres pour être honnêtes. Et dès ce premier triptyque, ils marquent des points. On y retrouve un Batman plus jeune, encore mal dégrossi, pas encore le stratège infaillible qu’on connaît, mais bien plus humain… donc plus vulnérable.
Les trois premiers épisodes de Batman : Dark Patterns installent une intrigue au long cours, où la ville elle-même semble conspirer contre ses habitants. Meurtres étranges, chirurgies macabres, entreprises louches, journalistes sous tension : la ville de Gotham est un labyrinthe, et Bruce Wayne un Minotaure aux côtes fêlées. Ce n’est pas le Batman des grandes sagas cosmiques : ici, on revient à une enquête poisseuse, à hauteur de bitume. Et vous savez quoi ? Ça fait du bien !

Une enquête tendue comme un fil de rasoir
Chaque numéro de Batman : Dark Patterns pousse un peu plus le curseur du malaise. On commence avec un corps mutilé avec des aiguilles, on enchaîne sur une victime transpercée comme un bouchon de liège, et on comprend vite que l’Homme Blessé, notre tueur en série horrifique, n’est pas qu’un simple monstre de foire. C’est un message vivant. Un avertissement… Derrière lui, des indices sur un secret trop vite enterré, et peut-être la promesse d’un ennemi autrement plus terrifiant : le consumérisme.
Dan Watters distille les éléments de l’enquête avec précision : rien ne semble gratuit, même si tout ne trouve pas encore son explication. On sent l’inspiration puisée dans Un Long Halloween ou un Black Mirror de Scott Snyder, avec ce même goût pour les puzzles narratifs à combustion lente. Les indices sont là, dissimulés dans les marges, et les lecteurs attentifs se régaleront à tout recoller. Pour les autres, l’atmosphère suffira à faire frissonner : Gotham suinte la paranoïa, et Batman, même en pleine action, semble toujours à un cheveu de la fin.

Un Batman faillible et humain
Ce qui distingue Batman : Dark Patterns, c’est la façon dont la série montre un Bruce Wayne encore en rodage. On le voit saigner, boiter, hésiter. On sent les douleurs dans ses côtes, les regrets dans ses regards, et une fatigue qui pèse bien plus lourd que sa cape. Ce n’est pas le Batman surhumain de la Justice League ou des arcs plus cosmiques. C’est un homme seul, qui doute, qui agit parfois à contretemps, mais qui continue, inlassablement, à creuser la boue.
L’idée de situer l’histoire pendant les premières années fonctionne à merveille, notamment dans la relation avec Jim Gordon, pas encore cimentée, encore électrique. Celui-ci enrage, Batman s’entête. On frôle parfois le conflit ouvert, mais cela nourrit le réalisme de l’ensemble. Même les gadgets font old school : à commencer par le design de la Batmobile ou l’iconique insigne jaune sur fond gris. On sent une volonté de s’ancrer dans une temporalité bien précise, plus dure, plus sale, et ça fonctionne à plein régime.

Un méchant qui cloue au mur
Le grand atout de Batman : Dark Patterns, c’est son méchant. L’Homme Blessé n’a pas besoin de mille punchlines ou d’un costume flashy pour impressionner. Il suffit de le voir, cloué de toutes parts, corps martyr transformé en outil de vengeance, pour sentir une présence malsaine s’installer. Il rappelle un peu Victor Zsasz dans son rapport au corps et à la douleur, mais pousse le curseur encore plus loin. Ici, la monstruosité n’est pas qu’esthétique, elle est sociale, politique, intime.
Au fil des épisodes, on découvre son passé, son lien avec une entreprise peu scrupuleuse, son basculement dans la folie. Il devient plus qu’un tueur : une conséquence. Un produit toxique de Gotham. Et si sa dangerosité physique est bien présente, c’est surtout son symbolisme qui frappe. Il incarne cette idée qu’à Gotham, même les victimes finissent par devenir des monstres ; parce qu’il n’y a pas d’issue, que des mutations.

Une direction artistique au scalpel
Côté graphisme, Hayden Sherman signe une performance impressionnante. Son style anguleux, hérissé, presque douloureux à l’œil, colle parfaitement à l’ambiance de Batman : Dark Patterns. Les silhouettes sont cassées, les visages parfois à peine esquissés, et pourtant chaque page explose de personnalité. Il n’y a pas deux doubles-pages identiques. La mise en scène ose, explore, dérange, et c’est exactement ce qu’il fallait pour ce genre de récit.
Mention spéciale à la colorisation de Triona Farrell sur le troisième épisode : l’utilisation de couleurs orangées flamboyantes dans une ville qui brûle de l’intérieur, le contraste entre la silhouette bleutée de Batman et la fureur jaune de l’Homme Blessé… L’ensemble est beau, brutal, et surtout totalement immersif. Ce n’est pas une série « jolie », c’est une série qui s’imprime dans la rétine et y reste logée comme une écharde.
Le seul vrai défaut de « Batman : Dark Patterns »
Si Batman : Dark Patterns impressionne par son ambiance et sa maîtrise du genre, il traîne malgré tout un défaut récurrent… et inéluctable : l’absence de tension véritable. On est face à une préquelle, on sait que Batman va survivre, que Gotham ne sombrera pas tout de suite. Et cette connaissance amoindrit certaines scènes d’action ou moments censés être tendus. Même l’Homme Blessé, aussi effrayant soit-il, peine à incarner une menace à long terme face à ce qu’on sait du futur de Batman.
Autre bémol : le rythme. Dan Watters prend son temps, parfois un peu trop. Trois numéros et déjà beaucoup de révélations ? Oui. Mais aussi pas mal de tunnels dialogués et de scènes de transition qui ralentissent l’élan. Heureusement, l’écriture est solide, et on sent que l’équipe a une vision globale de son histoire. Mais il faudra maintenir ce niveau tout au long de la maxi-série pour éviter l’essoufflement.
Faut-il lire « Batman : Dark Patterns » ?
Clairement, oui. Batman : Dark Patterns n’est peut-être pas une révolution, mais c’est un polar noir, sale et tendu comme on n’en lit plus tant que ça chez DC. Il y a du Année Un, du Black Mirror, un soupçon de Se7en, et un vrai amour du personnage sous toutes ses failles. Ce Batman-là, ce n’est pas le héros qu’on admire : c’est celui qu’on suit dans la boue parce qu’il est le seul à s’y enfoncer sans détourner le regard.
Impossible enfin de ne pas évoquer ce qui peut fâcher : le prix. 16 euros pour 3 épisodes, cela semblera trop cher à certains lecteurs. Et ils n’auront pas entièrement tord. Si vous lisez au kilomètre, Dark Patterns coûte effectivement son prix. Un autre point de vue, c’est de se dire qu’on en a pour son argent : en effet, ces 3 épisodes sont vraiment réussis et on passe un excellent moment de lecture. Selon moi, ça passe, car Dark Patterns vaut le coup.
Alors si vous aimez les histoires de justiciers épuisés, les vilains flippants sans surnoms ridicules, et les enquêtes où tout semble pourri jusqu’à l’os, Batman : Dark Patterns est pour vous. Et puis soyons honnêtes : quand une série arrive à rendre flippant un type garni de clous de la tête aux pieds et vous fait douter des bonnes intentions d’un coroner trop souriant, on sait qu’on tient quelque chose.

Batman : Dark Patterns tome 1 est un comics publié en France par Urban Comics. Il contient : Batman : Dark Patterns #1-3.