L’humanité n’est plus. Désormais sans leur maitre, 3 chiens Rover, Red et Charlie, vont apprendre à survivre dans un monde où le danger rode à chaque coin de rue ou route de campagne. Garth Ennis dynamite une nouvelle fois le monde des comics en proposant un récit choc où le lecteur est invité à suivre les tribulations de quelques représentants du monde animal. Attention, avoir pris chien en 1re langue est fortement conseillé pour comprendre ce récit complet dessiné par Michael Dipascale, proposé en exclusivité par Komics Initiative.
■ Par Fletcher Arrowsmith
L’odyssée canine
Pour une raison inconnue, l’humanité a été décimée laissant le champ libre au monde animal. Trois chiens, Rover, Red et Charlie apprennent à se débrouiller seuls sans leur maitre. C’est une émancipation forcée pour les meilleurs amis de l’homme privé de leurs « nourrisseurs ».Partant à l’inconnu, Rover, Red et Charlie tentent la grande aventure pour rejoindre le plus grand plouf, l’eldorado bien loin de l’enfer que sont devenu les villes. À l’instar d’Ulysse, de nombreuses embuches attendent Rover, Red et Charlie qui sont désormais en permanence mis au défi, le cocon protecteur des hommes ayant disparu. Garth Ennis joue avec les codes de L’Odyssée, l’œuvre d’Homère, tels un chien géant devenant borgne, où bien le chant des sirènes avec une femelle tellement désirable. À l’arrivée, et si les chiens étaient plus humains que les hommes, pour le meilleur et pour le pire ?
Des chiens aussi trash que The Boys
Dès les 1res pages de Rover Red Charlie, on comprend que l’on est bien dans un récit pur jus de Garth Ennis. Le scénariste du Punisher, de Preacher ou encore The Boys aime choquer, apprécie la violence et n’a pas peur de franchir certaines limites. L’extinction de l’humanité se fait dans le sang et la violence, les hommes se massacrant entre eux dans une débauche visuelle de fin du monde. Et cette marque de fabrique se retrouve dans les aventures des 3 chiens. Les canidés ne font pas dans la dentelle entre eux que cela soit sexuellement ou lors d’affrontement bien sanglant où tous les coups sont permis. Même remarque avec l’odeur du cul de Red. Garth Ennis ne s’interdit rien mais Red Rover Charlie peut choquer voire surprendre. Ainsi on n’échappe pas à une inévitable scène de viol, dans les 2 sens : humain sur chien et l’inverse. Néanmoins cette narration portée sur l’outrance amène une certaine poésie à la conclusion du récit.
Parlez vous le chien ?
La difficulté numéro 1 de Red Rover Charlie était de nous intéresser à une histoire racontée uniquement d’un point de vue des chiens, Charlie en étant d’ailleurs le principal narrateur. Les rares humains que l’on croise sont désormais des faires valoir accompagnant les personnages principaux, tous appartenant au monde animal. Comme le signale Alan Moore dans l’introduction disponible avant le 1er épisode de Red Rover Charlie, il n’est point question d’anthropomorphisme. Non, ici, on parle le langage chien, on exploite les attitudes des chiens et tout le récit se déroule à la hauteur de nos amis à 4 pattes avec leurs capacités naturelles. Il faut clairement s’appeler Garth Ennis et avoir un sacré culot pour oser le côté chien notamment dans le langage. Le parti pris du scénariste, c’est de se mettre dans la tête et le corps des chiens. À partir d’une base linguistique reprenant certains de nos codes, le scénariste imagine le langage des chiens. Ainsi certains aboiements ne seraient qu’une façon de signaler qu’ils sont des chiens : « je suis un chien, je suis un chien ». Les humains sont des « nourrisseurs », les étendues d’eau des « ploufs » On se délecte de tant d’imagination dans l’interprétation et on se plait à imaginer la notre, tout le long de la lecture qui acquiert ainsi un côté ludique.
Une critique acerbe de l’humanité
À travers Rover Red Charlie, Garth Ennis règle une nouvelle fois ses comptes avec l’humanité et pointe les absurdités du monde des hommes. Cela commence par l’extinction de l’humanité (par un mystérieux virus ?) où les complexes urbains deviennent de véritables enfers. On a le droit également au côté perversion immonde avec l’histoire du molosse de service, Herman. La pollution nucléaire est également dénoncée : à votre avis qu’arrive t il aux centrales quand les hommes ne sont plus là pour les faire tourner ? Les attitudes et décisions de Rover, Red et Charlie amènent également à réfléchir aux nôtres, les parallèles se faisant de plus en plus évident. Étonnamment cela conduit à une conclusion pleine d’espoir à l’encontre d’un récit qui se veut dur. Le fameux « tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir » résonne dans les têtes de Rover, Red et Charlie et pourquoi pas dans celles des hommes…
S’il te plait, M. Dipascale, dessine-moi un chien ?
Dans Rover Red Charlie, l’autre façon de représenter fidèlement le côté canin mais également le règne animal, on la doit aux dessins de Michael Dipascale (Hero Worship, Crossed). Le dessinateur américain propose une véritable animation des chiens notamment au niveau des expressions des visages. Pas question d’en faire des superhéros ou des chiens gonflés à la testostérone aux proportions d’un niveau 10 sur l’échelle ouverte de Rob Liefeld. Nous sommes pratiquement en face d’une leçon de chose tant le côté naturiste ressort de l’approche de Michael Dipascale. Et puis, même si cela peut être contesté, il ne force pas sur les décors, les chiens ont la vedette. Leurs mouvements prennent ainsi plus de valeurs et d’expressions. Le choix de couleurs dans des tons lorgnant sur des pastels se révèle également très efficace notamment pour le contraste autour de la fourrure des chiens. Cette colorisation joue également pour beaucoup dans l’appréciation de Rover Red Charlie et la compréhension d’un final assez optimiste, surprenant pour un auteur comme Garth Ennis.
Une édition de qualité signée Komics Initiative
Si j’ai pu lire Rover Red Charlie c’est grâce au succès de la campagne Ulule de Komics Initiative. Mickaël Géreaume continue de diriger de façon surprenante mais pertinente sa maison d’édition démontrant à chaque campagne la possibilité d’un autre modèle. La présente édition de Rover Red Charlie, outre l’intégralité de l’histoire complète avec les 6 numéros, comporte 2 introductions. La 1re est l’œuvre du big boss lui-même, Mickaël Géreaume. Comme il se plait à le signaler, elle en précède une autre, une prose par Alan Moore, qui apporte en 3 pages un véritable éclairage littéraire et cultivé sur le récit à lire. Enfin, porté par le modèle crowfunding, l’album de Rover Red Charlie s’enrichie de multiples bonus. Des entretiens de Michael Dipascale, et Garth Ennis ainsi que l’évolution du travail du dessinateur sur quelques pages du scénario complètent à merveille le récit. Rappelons enfin qu’une nouvelle campagne Ulule de Komics Initiative démarre le 28 avril 2020 à 18 h pour financer la sortie de la suite de Fox-Boy. ■
Rover Red Charlie est un comics publié en France par Komics Initiative. Il comprend Rover Red Charlie n°1 à 6.
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