La mort de Vertigo ! [En Vert Et Contre Tous n°35]

(image © Vertigo/DC Comics)

 

Une longévité et une liste d’auteurs impressionnantes

Le plus grand fait d’armes de Karen Berger et de ses éditeurs, c’est aussi d’avoir réussi pendant 20 ans à remplacer chacune de ses séries phares par une autre, pérennisant les recettes et permettant de lancer des titres un peu plus inconnus. Sandman s’arrête : pas de souci, Preacher est là pour prendre la relève ! Globalement, Vertigo a sorti tous les deux ans un titre phare, un succès critique et public qui a permis de remplacer les séries qui s’achevaient. Les Invisibles (1994), Preacher (1995), Transmetropolitan (1997), 100 Bullets (1999), Lucifer (2000), Y The Last Man (2002), Fables (2002), DMZ (2005), Scalped (2007) ont assuré le succès et la longévité de Vertigo. Mais ce n’est pas tout, Vertigo a aussi permis à des artistes de sortir de l’anonymat et de pouvoir percer dans l’industrie. Qui connaissait Brian K. Vaughan lorsque ce dernier a réalisé Y The Last Man ? Qui a fait de Jason Aaron, Steve Dillon, Brian Azzarello, Garth Ennis ou Grant Morrison des superstars ? Vertigo. Malheureusement, le rêve s’est écrasé sur la barrière du cinéma et des films.

 

(image © Vertigo/DC Comics)

 

Le début de la fin

Depuis 7 ou 8 ans, les grandes compagnies (DC et Marvel) ne sont plus là pour produire des comics de qualité ! Elles proposent plutôt des histoires banales et consensuelles qui peuvent être adaptées au cinéma ou en série télévisée, la nouvelle corne d’abondance de l’industrie. Et le problème de Vertigo est double. Tout d’abord, certaines séries (pourtant dans l’air du temps) ne peuvent être adaptées qu’au prix de nombreuses concessions (on pense à Preacher ou encore à Lucifer), voire pas du tout. Vous pensez sincèrement d’une adaptation sincère de Shade The Changing Man, de Transmetropolitan ou de Sandman est possible ? Les pontes de DC n’ont pas l’envie de promouvoir des séries ou des personnages un peu trop différents ne pouvant pas être adaptés au cinéma. On a donc assisté au rapatriement des séries les plus appréciées (et qui appartenaient à l’éditeur comme Constantine ou Animal Man) dans le giron de l’univers DC classique, avec des histoires édulcorées et dénaturées qui s’écartent totalement du matériau d’origine pour plaire aux lecteurs qui adorent les trucs « glauques » mais pas trop ! (Lucifer, Swamp Thing). Echec total en comics ! Et puis il y a aussi une question de droits : si un personnage appartient à des artistes ou à des auteurs, il faudra les payer plus cher si vous voulez les produire pour le petit écran. Financièrement, les éditeurs de DC n’ont aucune raison de continuer à publier des séries dont les personnages risquent d’être difficiles à adapter et qui en plus vont leur coûter plus cher en cas de passage sur le grand ou le petit écran. Ce sont ces raisons qui ont conduit Karen Berger à quitter la compagnie en 2012.

 

(image © Vertigo/DC Comics)

 

La fin des temps

Vertigo a alors commencé à vivoter, à ne plus proposer de grosses têtes de gondole, la majorité des auteurs préférant partir vers Image, Dark Horse ou IDW qui proposaient de meilleures conditions. Ne nous y trompons pas : la grande majorité des séries publiées par Image depuis 7 ou 8 ans auraient pu faire partie de la ligne de Vertigo ! En dehors de la défection des auteurs classiques de la ligne, Vertigo a aussi certainement rencontré son adversaire le plus fatal : la bienséance et le refus de toute polémique ! Depuis quelques mois, DC Comics a changé de directoire. Et il n’y a plus de doutes là-dessus, la nouvelle direction cherche à faire dans le plus consensuel possible et dans le plus neutre afin de ne pas effrayer le lectorat ! Les exemples sont nombreux : la polémique autour du Bat-zizi, la série Second Coming arrêtée avant même sa publication sous la pression de certains groupes religieux, un DC Black Label mort-né ! Second Coming est d’ailleurs un cas d’école. Pour ceux qui ne connaîtraient pas, cette série de Mark Russel et Richard Pace était censée nous raconter la deuxième venue sur Terre de Jesus, encadré par un superhéros ! Pression des lobbies religieux et voici la série annulée quelques semaines avant son lancement. D’ailleurs la série a été récupérée par le nouvel éditeur Ahoy Comics qui propose des titres de très bonne qualité comme The Wrong Earth. Cela prouve bien que la grande majorité des titres Vertigo de l’époque n’auraient plus pu être publiés par DC. Rappelez-vous de Preacher  (un prêtre violent et alcoolique voulant aller chercher Dieu pour s’expliquer), Shade (où un héros possède le corps d’un tueur en série et qui nous raconte l’assassinat de Kennedy) ou encore The Invisibles (avec ses héros transsexuels et drogués) : aucune de ces séries n’aurait pu voir le jour en 2019 chez DC Comics. Non pas que je défende le politiquement incorrect (j’ai même souvent horreur de ça), mais c’est tout simplement une certaine créativité qui est sacrifiée sur l’autel de l’argent facile. Si vous voulez des histoires qui sortent un peu du moule, il faut effectivement aller voir chez Image, Boom Studios, Dark Horse, IDW ou encore Ahoy Comics. Pas étonnant d’ailleurs que Karen Berger ou Shelly Bond aient lancé leurs nouveaux comics respectivement chez Dark Horse et IDW.■

Les publicités Vertigo illustrant cet article sont issues du site Sad Pop Inc.

 




A propos Doop 374 Articles
Doop lit des comics depuis une quarantaine d'années. Modérateur sur Buzzcomics depuis plus de 15 ans, il a écrit pour ce forum (avec la participation de Poulet, sa minette tigrée et capricieuse) un bon millier de critiques et une centaine d'articles très très longs qui peuvent aller de « Promethea » à « Heroes Reborn ». Il a développé une affection particulière pour les auteurs Vertigo des années 90, notamment Peter Milligan et Neil Gaiman.