Sincèrement, lorsque je fais le tour de mes précommandes VO, je ne peux que constater que ces dernières se sont désormais réduites comme peau de chagrin depuis deux ou trois ans. Est-ce que cela signifie que la production actuelle est mauvaise ? Je ne tiendrai pas ce discours. En revanche, peut-être que les ficelles sont désormais tellement grosses que je n’y prends, tout simplement, plus vraiment de plaisir.
■par Doop
De l’enfance à l’adolescence
J’ai été élevé avec les comics, période Strange et Spécial Strange dans les années 70. A l’époque, un univers cohérent proposait des aventures palpitantes qui alternaient avec des moments un peu plus personnels, qui permettaient d’approfondir l’histoire et la personnalité de nos héros. Nous étions dans un monde finalement assez lent, rythmé par trois ou quatre chaînes de télé. De fait, ces lectures prenaient le temps, osaient certaines choses, parlaient de thèmes déjà forts mais sans toutefois y entrer complètement (le remplacement d’Iron man par James Rhodes a été développé pendant au moins 3 ans, la mort de Jean Grey). Le rendez-vous mensuel était important et finalement bien entretenu. Cela correspondait parfaitement à ma sortie de l’enfance. Les titres un peu plus engagés et à contre-courant existaient (principalement scénarisées par Steve Gerber ou Denny O’Neil) mais n’était que très peu traduits. Quand je suis devenu adolescent, même si je conservai une affection particulière pour les histoires de super-héros (et à l’époque, Uncanny X-Men ou Teen Titans envoyaient du particulièrement lourd, que ce soit avec Paul Smith ou avec Terra), la découverte du Watchmen de Moore, du Elektra de Miller et Sienkiewicz, du travail fourni par les Editions Comics USA ont accompagné mon entrée dans le monde mystérieux de l’adolescence, cette phase de sa vie où tout devient doute et où les certitudes se remettent en question. Le monde autour de moi devenait complexe. Le mur de Berlin était tombé, on se dirigeait vers une époque totalement différente, où chacun allait finalement penser à soi.
Le sursaut créatif d’une banqueroute
C’est l’avènement des années 90, où la légèreté a finalement pris le pas sur la réflexion, où tout ce qui était signé Liefeld ou Mc Farlane se vendait par millions. L’époque où le plus important, c’était d’être cool (et d’avoir une coupe mulet, comme Tony Stark ou Superman). De fait, l’industrie du comic-book a commencé à tourner à vide, portée par des egos surdimensionnés et des dessinateurs rois. Bien sûr, d’un autre côté, la résistance s’organisait. La ligne Vertigo proposait des histoires sublimes mais peu attirantes pour les rétines des adorateurs de Stephen Platt ou des variant covers. C’est d’ailleurs toute la spéculation autour des comics et la succession d’events construits sur rien qui a conduit à la banqueroute de Marvel. Ce qui est peut-être la meilleure chose qui soit arrivée à la maison d’édition. En effet, lorsqu’une compagnie est au bord du chaos, elle n’a plus rien à perdre. Son contrôle éditorial se desserre et les créateurs ont beaucoup plus de liberté. C’est un petit peu ce qu’il s’est passé sous le règne de Bill Jemas, avec des auteurs qui pouvaient faire ce qu’ils voulaient dans la mesure où ils suivaient une ligne claire et simple, définie dès le départ. Ce sont les années 2000, là où le dessinateur a laissé la place au scénariste roi. C’est l’avènement des Bendis, Busiek, des Waid, des Morrison, auteurs déjà confirmés mais qui pouvaient laisser diffuser leurs idées saugrenues dans des comics mainstream. Tout était pourtant loin d’être réussi (après des départs fracassants, le Hulk de Bruce Jones s’est auto-détruit, l’arrivée de Chuck Austen sur les X-Men, les retours successifs de Chris Claremont). La ligne d’Image Comics a changé de cap, proposant de plus en plus des titres au ton « indé » aux antipodes de ce qui avait pu être produit une quinzaine d’années auparavant.
L’effet pervers des super-héros au cinéma
Et le public est arrivé en masse, lancé par Walking Dead, la réussite des films X-Men de Bryan Singer et les Spiderman de Sam Raimi. Et jamais les super-héros n’ont été aussi célèbres. Et jamais les comics n’ont aussi peu vendu. C’est le gros problème, qui a mon sens peut être résumé par l’achat de Marvel par Disney. Le fait de racheter non plus des histoires mais des personnages a, à mon sens, totalement vidé la série mensuelle de son contenu. On veut de l’icône, des héros immédiatement identifiables et calibrés pour plaire au public désigné. Dans ce sens, les films Deadpool au cinéma ne sont pas plus différents qu’Avengers ou Ant-Man. Ce sont tout simplement des productions calibrées pour attirer une certaine catégorie de personnes (les enfants, les « faux rebelles, les « post-ados »). Le docteur Strange est devenu une célébrité alors que quelques années plus tôt, il n’y avait que les lecteurs de comics qui pouvaient en parler. Sincèrement, qui connaissait Rocket Raccon ou Star-Lord dans les années 90 ? Certainement pas les gens qui n’avaient jamais acheté de comics de leur vie, voire même ceux qui n’avaient suivi que Strange ou les revues Semic (la première fois que j’ai lu du Star-Lord, ça devait être dans les années 80 avec un grand album Sageditions en noir et blanc je crois). Le succès des films a laissé l’industrie des comics de côté dans la mesure où elle a fait perdre à l’industrie son côté feuilletonnant. De fait, les héros ont commencé à ne plus vraiment pouvoir évoluer de manière « naturelle ». Pour compenser, l’industrie s’est lancée dans le buzz et l’event à tout prix les histoires décompressées qui peuvent être vendues en TPB. Désormais, dès qu’un personnage change de point de vue, on balance un nouveau numéro un. Nous voici dans l’époque du buzz à tout prix, où Batman montre sa bite, où les morts se succèdent à tour de bras, où chaque couverture variant fait bondir les chiffres de vente d’un numéro. Ca vous rappelle quelque chose ? Sauf que cette fois-ci, il n’y aura pas de banqueroute. Disney a les reins trop solides pour cela et les films restent une poule aux œufs d’or. Ce qui ne veut pas dire que certaines séries sont pourries. Le run de Mike Allred et Dan Slott sur les Silver Surfer ou le Mister Miracle de Tom King sont les symboles d’une industrie mainstream qui peut encore se renouveler.
C’est peut-être un peu confus, mais l’idée de base est tout simplement de dire que non, les comics, c’était pas mieux avant, il y avait des merdes, des trucs génialissimes, tout comme aujourd’hui. Il reste encore des possibilités de renouvellement. En revanche, je pense sincèrement que la culture du buzz et de la hype rend les choses plus difficiles. C’est ce qui reste intéressant finalement. ■