Pour une grande partie des Français, comics = super-héros. Et c’est une erreur, qui, si elle est compréhensible, serait équivalente à celle de dire que tous les dessins animés sont forcément des Disney.
■ par Doop
Une confusion logique
Cette confusion peut toutefois faire sens. Quand on y pense, le mot « comics » est entré dans l’usage courant de la langue française depuis quoi ? 15, 20 ans ? Si le terme était bien évidemment connu des fans autrefois, il s’est généralisé depuis l’impact des films ou par l’opposition faite aux mangas. Je me rappelle que certains (même encore maintenant) utilisaient le terme « Marvel » pour désigner les comics. Combien de fois ai-je entendu cette phrase « Ah, mais tu lis des Marvel, toi? » alors que j’avais entre les mains du Superman ou même des comics d’horreur. On peut l’expliqur par le fait que Marvel a été un éditeur privilégié en France durant des années, avec une publication kiosque forte entre les années 70 et 2000. La plupart des gens qui me disent ça sont certainement des personnes qui ont eu un jour entre leur main un Strange, dont la diffusion était gigantesque au regard des chiffres de vente actuels. Ce qui a pu engendrer non seulement une confusion entre le mot « comics » et le mot « Marvel », mais surtout entre le terme « comics » et celui des « super-héros ».
Des comics pas comiques
Un comics désigne toute bande dessinée publiée aux États-Unis. Au début, les comics tels qu’on les connaît aux États-Unis (c’est-à-dire des magazines souples et agrafés d’une trentaine de pages) n’étaient que des rééditions de strips, ces bandes de 4 ou 5 cases qui s’étalaient le dimanche dans les journaux. Et comme la plupart de ces histoires étaient humoristiques, le terme « comic-strip » s’est alors étendu à celui de « comic-book ». D’ailleurs, je suppose que c’est l’étymologie même du mot « comic » qui a longtemps contribué à la dépréciation de cette industrie. Si c’est « comique », cela ne peut pas être pris au sérieux. Ne mettons pas de côté non plus le mépris certain de certains auteurs de bande dessinée franco-belge de l’époque pour ces productions américaines, classées souvent comme impérialistes ! Je crois me souvenir d’un Asterix parodiant bêtement et de manière très peu subtile les super-héros.
Au tout début des années 2000, j’avais, participé à une réunion autour de la bande dessinée, une sorte de café littéraire composé en grande majorité de professeurs de lettres. Après un débat de près d’1 heure sur les jurons préférés du Capitaine Haddock, je suis intervenu pour parler comics. Et je n’avais pas sorti n’importe quoi : du Sandman et du Watchmen (à l’époque, ma culture comics était beaucoup moins étendue). Alors que le recueil d’Alan Moore et Dave Gibbons circulait de mains en mains, persuadé que j’allais enfin pouvoir montrer aux gens que les comics pouvaient développer autre chose que du super-héros, 2 réflexions sont venues arrêter le débat : « Ce n’est pas de l’art » et « C’est trop americain pour moi », la dernière venant d’un gars fan de David Bowie, ce qui est assez drôle quand on pense qu’Alan Moore, Dave Gibbons et Neil Gaiman sont anglais avant tout ! Bref, les comics se voyaient catalogués de sous-culture destinée aux adolescents dégénérés, incapable de développer un message politique ou philosophique aussi poussé que Les Bijoux de la Castafiore. Attention, loin de moi l’idée d’opposer les genres. Il faut reconnaître aussi que ces idées ont quand-même pas mal évolué avec la publication d’ouvrages beaucoup plus ambitieux, comme Maus ou encore From Hell.
Il n’y a pas que les super-héros dans la vie
Saviez-vous que la période où les comics ont été le plus vendu aux États-Unis est celle correspondant au début des années 50? Et qu’à cette époque-là il n’y avait quasiment plus aucun comics de super-héros ? Eh oui ! Le comics le plus vendu à cette époque et qui dépassait les 4 millions d’exemplaire par numéro était Walt Disney Comics and Stories ! Allez demander à quelqu’un si Picsou Magazine est un comics, je pense qu’il vous répondra par la négative (en revanche, ne lui demandez plus si le dernier numéro de Captain America est un Disney !!!!). N’en déplaise à certains, les comics ne sont heureusement pas que du super-héros, de la baston ou des histoires purement manichéennes. Il y en a, souvent des bonnes, mais vous trouverez en comics tout ce que vous voudrez ! De la science-fiction ? Lisez Fear Agent ou Descender. De la romance adolescente ? Lisez Betty et Veronica, Archie ou Spider-Man loves Mary-Jane ! De l’histoire dans sa cruauté la plus absolue ? Northlanders, Age of Bronze, From Hell ou Maus sont faits pour vous. Des comics littéraires ? Lisez n’importe quelle BD de Neil Gaiman, League of Extraordinary Gentlemen ou The Unwritten. De la politique ? Howard the Duck (des années 70), le dernier run de Captain America par Nick Spencer ou encore Ex Machina sont faits pour vous. Du polar ? Criminal ou A History of Violence ! De la vie et un éloge de la différence : Strangers in Paradise ! J’en passe et des meilleurs !
Non, les comics ne sont pas que des super-héros, ce n’est pas une sous-culture. Ils sont, comme toutes les autres formes d’art, des véhicules à des histoires porteuses de message et d’émotions. Faites passer le message. ■