
Avec Duncross contre les créatures du mal, l’auteur Derek Laufman délaisse les histoires jeunesse toute mignonnes pour plonger dans la crasse d’un monde où les moines finissent égorgés et où les chevaliers manient l’épée comme d’autres sortent les poubelles. Fini les gentils robots et les mignons renards : place aux abbayes ravagées par des forces démoniaques, aux discussions théologiques à coups de hache et à une ambiance de donjon moisi bien poisseuse. Un virage à 180°, oui, mais qui sent bon le cuir tanné et le papier jauni des bons vieux récits à la Hellboy.
Le résultat ? Un diptyque nerveux, court mais dense, où chaque planche suinte le plaisir de l’auteur de jouer avec les codes de la dark fantasy. Entre un moine copiste traumatisé en quête de réponses et un chevalier aussi bourrin que mystérieux, Duncross s’impose comme le bourreau des démon au charisme rugueux. L’univers, quant à lui, se dévoile petit à petit, fait de superstitions, de vieux dieux oubliés et de vérités qu’on préférerait ne pas découvrir à la lueur d’une torche. Bref, une bonne vieille série B d’épouvante mâtinée de réflexions sur la foi. Oui, rien que ça.

Duncross ou le choc des croyances
L’un des éléments les plus intéressants de Duncross contre les créatures du mal réside dans l’opposition frontale entre le père McKellen, représentant d’une foi organisée, et Duncross lui-même, adepte d’un panthéon ancien et fâché avec la bureaucratie religieuse. Le comics prend alors une direction presque philosophique : que reste-t-il de la foi face à l’horreur concrète ? À coups de dialogues tendus et de regards noirs, l’auteur interroge la légitimité des dogmes dans un monde où l’Enfer est littéralement à votre porte. Le tout dans une ambiance buddy movie, bien entendu.
Loin de s’enfermer dans le prêche ou le sermon, Derk Laufman rend cette dualité accessible, voire jouissive, en injectant une dose de cynisme et de méfiance bien sentie. Duncross ne croit pas en un seul dieu, mais il croit aux monstres, et c’est déjà beaucoup. L’équilibre entre action, horreur et introspection est finement menée, et chaque échange entre le prêtre et le chevalier nous rapproche de leur humanité autant que de leur damnation. Du bon boulot, sombre mais pas sinistre.

Duncross contre les créatures du mal, la série B qui a du style
Côté mise en scène, on sent que Derek Laufman s’éclate. Le découpage est efficace, les scènes d’action lisibles et viscérales, et les onomatopées (« SLASH », « STAB », « SPLORCH ») claquent comme des coups d’épée dans un jambon. La colorisation renforce l’ambiance gothique à souhait : on est entre le comics indé qui suinte le sang séché et le carnet de croquis d’un moine possédé. L’économie de couleurs, loin d’être un frein, pousse le dessin dans ses retranchements et donne à chaque case une intensité dramatique bienvenue.
La narration, elle, joue la carte de la simplicité maîtrisée. Là où d’autres se seraient perdus dans des flashbacks confus et des twists gratos, Duncross contre les créatures du mal préfère aller à l’essentiel. Deux héros, deux mission, des démons, basta. Et pourtant, les enjeux sont là, palpables. Le duo fonctionne, l’alchimie est solide, et le tout se lit avec un plaisir coupable, comme un vieux film d’horreur un peu kitsch mais foutrement bien foutu.

Faut-il suivre Duncross dans ses futures croisades ?
Clairement, oui. Avec Duncross contre les créatures du mal, Derek Laufman pose les bases d’un univers qu’on a envie de retrouver, à condition qu’il continue de mélanger baston occulte et joutes spirituelles sans sombrer dans la caricature. Les deux épisodes de Duncross contre les créatures du mal (ou Crimson Fall en VO) forment une parfaite introduction à une série qui pourrait bien devenir culte dans son registre, si elle parvient à développer davantage ses mystères et ses personnages secondaires.
Derrière l’armure cabossée de Duncross, il y a de la mythologie, de la douleur et une certaine noblesse. Le cocktail a beau être classique, il est exécuté avec sincérité et talent. Si vous aimez les ambiances à la Witcher, les moines flippés et les combats contre des créatures pas franchement végétarienne, ce comics est pour vous. Vivement la suite (s’il y a), car le mal n’a visiblement pas dit son dernier mot…

Duncross contre les créatures du mal est un comics publié en France par les éditions Aventuriers d’Ailleurs. Il contient : Crimson Fall : Lambs of God et Crimson Fall : The Shore Tower.