Crossed, l’intégrale : le jour des fous vivants [avis]

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HiComics réédite Crossed la série post-apocalyptique choc de Garth Ennis. L’occasion de revenir sur cette « fausse » série de zombies, gore mais peut-être plus subtile qu’il n’y parait…
■ par JB

 

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La 1re série Crossed, rééditée dans son intégralité par HiComics, suit les aventures de survivants qui font face à la chute de la civilisation. Il ne s’agit pas ici d’une apocalypse zombie. S’il y a bien une pandémie qui change les êtres humains, elle ne les transforme pas en morts-vivants mais en sadiques sans inhibitions. Les personnages atteints n’ont plus pour but que leur plaisir personnel, qui consiste à mutiler, violer, tuer, et dévorer leurs victimes (pas forcément dans cet ordre.) Nos héros tentent de rejoindre l’Alaska mais un groupe d’infectés les prends en chasse…

 

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Une horreur graphique et psychologique

Crossed est aujourd’hui devenu une franchise réputée pour ses excès gore. Après coup, cette série originelle de Garth Ennis et Jacen Burrows est (très relativement) soft. On y retrouve certes des scènes horrifiantes et violentes, notamment le viol et le massacre graphique d’une famille sur une double page. L’album de HiComics comprend d’ailleurs les couvertures alternatives de la série, riches en scènes sanglantes. Cependant, c’est l’horreur psychologique qui domine. Si vous connaissez l’iconoclaste Garth Ennis, vous savez qu’il ne fait pas dans la dentelle. Pourtant, comme l’indique la 4e de couverture, « Crossed est le récit le plus extrême et le plus dérangeant qu'[il ait] jamais écrit ». Le principe de la série est que les infectés manifestent le pire de l’humanité, dont ils constituent donc un miroir déformant : l’ultime confrontation avec les monstres contaminés indique bien qu’ils ne sont rien de plus ni de moins que des humains. Côté survivants, leurs failles s’avèrent plus pesantes que les déluges de tripes et de sang : il y a l’incertitude concernant le comportement des infectés, la vulnérabilité d’une aveugle ou de l’enfant de la cheffe du groupe, ou la dépression d’un des héros après la perte de sa famille.

 

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Se jouer des clichés des films de zombies

Crossed conserve le principe de la contamination par fluide corporel, donc par morsure ou infection du sang, mais y rajoute d’autres… liquides. Plus dangereuses que les hordes de morts-vivants, les meutes infectées savent ici utiliser ce fait en contaminant les balles de leurs armes pour transformer leurs victimes. D’autre part, les films et séries de zombies ont pour habitude de montrer que face à l’apocalypse zombie, la menace la plus dangereuse reste l’homme qui perd toute inhibition. Dans Crossed, cadavres cannibales et psychopathes meurtriers sont combinés. Ce n’est pas une nouveauté. George Romero a codifié les histoires de zombies moderne avec sa célèbre Nuit des morts-vivants. En 1973, il réalise La Nuit des Fous Vivants (The Crazies) sur le même principe. Pour autant, même les survivants ne sont pas des héros immaculés. Brett est une brute arrogante qui aime harceler le narrateur. Geoff cache un sombre secret qui ferait pâlir d’horreur Negan. En parlant de Walking Dead, une rencontre avec une enseignante et ses élèves m’a beaucoup rappelé l’épisode « Scars » de la série TV. Comme Michonne et Daryl, les survivants de Crossed ne sortiront pas indemnes de cette confrontation.

 

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Oserez-vous en rire ?

Garth Ennis est connu pour dépasser les limites, au point que les excès les plus horribles deviennent comiques. C’est par exemple souvent le cas dans la série Preacher. Si l’humour est moins présent dans Crossed, la série garde la touche absurde de l’auteur. On notera l’arme de prédilection du leader local des infectés : l’appareil génital d’un cheval utilisé comme matraque… Je pense également à ce survivant certain d’avoir trouvé le point faible des infectés : le sel de table. Désespéré, il tente sa chance en entourant sa famille d’un cercle de sel au sol, et observe avec espoir la réaction des infectés. Une ellipse mène vers un échec si horrible et spectaculaire qu’il en devient sidérant.

 

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Des lueurs d’espoirs

Bien que les séries Crossed soient aujourd’hui associées avec un déluge de sexe et de violence, Garth Ennis garde des moments plus contemplatifs. Les personnages principaux, le narrateur et la leader des survivants tombent sur une meute de loup qui les observe ; ils méditent alors sur un retour à une Terre plus pure. Jacen Burrows, connu pour ses comics violents chez l’éditeur Avatar, propose également des scènes mettant en avant le paysage naturel. Le tome se conclue d’ailleurs sur une nouvelle aube se levant sur les protagonistes. L’histoire elle-même alterne entre les 1ers jours de l’apocalypse et le « présent », 10 mois plus tard. Le lecteur voit ainsi les héros céder à la violence ou à la dépression, mais également tenter de regagner leur humanité. Que ce soit en prenant soin d’un chien errant ou de rebrousser chemin pour enterrer l’un des leurs, nos héros se séparent des hordes de psychopathes qui gagnent le monde. Le récit reste à dimension humaine : les personnages de Crossed ne découvrent jamais d’où vient l’infection, seul un journal militaire apportera quelques bribes de réponses au narrateur. Au final, bien qu’elle annonce les délires gores de Crossed : Badlands, cette série de Garth Ennis et Jacen Burrows est plus subtile qu’en apparence. ■

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Crossed, l’intégrale est un comics publié en France chez HiComics.




A propos JB 198 Articles
Lecteur de comics depuis 30 ans, pinailleur Marvel, râleur DC et nostalgique des séries Valiant des années 90.