Rat City, tome 1 : un nouveau souffle cyberpunk pour la légende de Spawn

Rat City tome 1 spawn
Temps de lecture estimée : 4 min.

Quand Todd McFarlane a décidé d’étendre l’univers de Spawn avec une nouvelle série, on pouvait craindre un simple recyclage. Or Rat City surprend, car Erica Schultz et Zé Carlos réussissent à faire respirer ce futur crasseux sans qu’on ait l’impression de relire une vieille rengaine infernale. L’idée : transposer les codes de Spawn dans une ville cyberpunk où un ancien soldat, Peter Cairn, se découvre des pouvoirs démoniaques. Jusque-là, rien de neuf, mais le ton, lui, change tout. Erica Schultz met l’accent sur le trauma des vétérans et les cicatrices invisibles de la guerre. C’est sombre, poisseux et même touchant par moments. Et on s’intéresse aussi à l’humain derrière le masque.

L’autre bonne idée, c’est cette ambiance de SF crade, presque industrielle, qui colle au personnage comme une seconde peau. Zé Carlos, avec ses lignes métalliques et ses néons vénéneux, crée une Rat City futuriste crédible et cohérente. Les rues sentent la rouille et la désolation. Visuellement, c’est un régal, quelque part entre Blade Runner et Doom Eternal. Les amateurs de capes et de chaînes trouveront leurs marques, mais avec un soupçon de modernité bienvenue. Bref, la légende de Spawn se réinvente en mode cyberpunk et sans se renier. Pas mal, Todd.

Rat City réussit à moderniser Spawn sans le trahir. Ce n’est pas un chef-d’œuvre, mais c’est une proposition forte, sincère, visuellement marquante.

Le futur selon Schultz

Erica Schultz a bien fait ses devoirs. Elle connaît ses classiques et tisse son intrigue avec une vraie dévotion pour le mythe de Spawn. En filigrane, elle glisse un commentaire acide sur les sociétés militarisées et les gouvernements qui abandonnent leurs soldats. Ce n’est pas du Alan Moore, faut pas trop pousser, mais ça tient la route. La scénariste préfère la lente montée en tension au grand déballage d’action, et ça fonctionne… la plupart du temps. Parfois, l’intrigue prend son temps, un peu trop même. On sent une certaine lenteur héritée des séries modernes : c’est bien écrit, mais les lecteurs pressés risquent de s’impatienter avant que Peter Cairn n’enfile vraiment la cape, puisque il faut 2 épisodes complets pour écrire l’origin story de ce nouveau perso.

Cette approche progressive a un avantage : elle rend la transformation du héros crédible. On comprend son désarroi, sa colère, son rejet du système. Quand il devient le nouveau Spawn, c’est presque logique, inévitable. Erica Schultz trouve l’équilibre entre le fan service et l’émotion. Dommage que certains dialogues sonnent un peu trop explicatifs, comme si la scénariste craignait que le lecteur ne suive pas. Un peu plus de mystère n’aurait pas nui à la magie du récit. Mais ne boudons pas notre plaisir : ce tome 1 de Rat City livre une histoire solide, avec une vraie personnalité.

Un dessin parfaitement dans le ton

Zé Carlos ne signe pas ici un simple travail d’illustration : il redéfinit visuellement ce que peut être Spawn dans le futur. Son trait nerveux, appuyé par les couleurs saturées de Jay David Ramos, donne une vraie identité à Rat City. Les capes ne volent pas, elles déchirent l’air. Les membres cybernétiques du héros sont presque crédibles. On est loin de la grandiloquence gothique de Greg Capullo ou du baroque de Todd McFarlane. Ici, tout est plus sec, plus anguleux, plus brutal. Et ça colle parfaitement à ce futur déshumanisé.

La mise en couleur mérite aussi les applaudissements. Jay David Ramos joue avec les contrastes : néons criards contre ombres poisseuses, reflets métalliques sur peau brûlée. L’ensemble évoque parfois les jeux vidéo de science-fiction, mais sans jamais tomber dans la froideur numérique. L’image vit, respire. Et certaines planches (notamment les combats contre PharamTech Solutions) mériteraient d’être encadrées. Ce n’est pas parfait (quelques cases manquent de lisibilité) mais le dynamisme global emporte tout. Zé Carlos s’impose clairement comme un atout majeur de cette renaissance.

Un nouveau départ… mais pas une révolution

Alors, Rat City bouleverse-t-il vraiment la mythologie de Spawn ? Pas tout à fait. La série recycle certains motifs familiers : le soldat déchu, le pacte maudit, la vengeance, la solitude, les victoires au goût amer. Sauf qu’ici, le démon a troqué les ruelles de New York pour les ghettos high-tech. Le changement d’époque et de décor suffit à donner un souffle neuf. Mais on aurait aimé qu’Erica Schultz aille plus loin, qu’elle ose un vrai basculement dans le ton ou les enjeux. L’ensemble reste parfois trop sage, comme si la série craignait d’éloigner les fans historiques.

Pour autant, difficile de bouder cette lecture. Rat City réussit à moderniser Spawn sans le trahir. Ce n’est pas un chef-d’œuvre, mais c’est une proposition forte, sincère, visuellement marquante. Et puisque le rythme s’accélère en fin de tome, on pourrait bien tenir dans les prochains la première vraie réussite du « New U » de Todd McFarlane. En attendant, on se dit que Peter Cairn, avec sa gueule cassée et son armure de l’enfer, a déjà gagné sa place parmi les rejetons les plus intrigants du Diable.

Rat City tome 1 est un comics publié en France par les éditions Delcourt. Il contient : Rat City 1 à 12.




A propos Stéphane 769 Articles
Stéphane Le Troëdec est spécialiste des comics, traducteur et conférencier. En 2015, il s'occupe de la rubrique BD du Salon Littéraire. Ses autres hobbys sont le cinéma fantastique et les jeux. Enfin, et c'est le plus important : son chiffre porte-bonheur est le cinq, sa couleur préférée le bleu, et il n’aime pas les chats.