Le crétin qui a gagné la Guerre froide : une satire aux allures de récit historique

Temps de lecture estimée : 3 min.

Jean-Yves Le Naour et Cédrick Le Bihan signent avec Le crétin qui a gagné la Guerre froide une bande dessinée à mi-chemin entre la satire politique et le cours d’histoire revisité. Une question nous taraude dès les premières pages : Ronald Reagan était-il vraiment aussi ignorant qu’on le prétend, ou jouait-il parfaitement son rôle de « cow-boy » débonnaire au sommet du monde ? Entre les cases d’une BD débordante d’ironie et les clins d’œil historiques, la réponse reste en suspens… et c’est ça qui fait tout le charme.

Réinventer Reagan… ou presque

Tout commence en juillet 1980, lors de la convention républicaine à Detroit. Reagan, ancien acteur de westerns, grimpe sur le podium et capte l’attention d’une Amérique en pleine crise identitaire. Après le traumatisme du Vietnam et la crise des otages de Téhéran, le pays a besoin d’un héros. Et voilà que ce « cow-boy » en costume-cravate dégaine son énergie communicative et sa volonté de rendre sa grandeur à l’Amérique… quitte à faire passer ses blagues pour des stratégies diplomatiques.

Reagan, selon Jean-Yves Le Naour et Cédrick Le Bihan, n’est pas un stratège complexe ni un visionnaire. Loin de là. Il préfère mémoriser des blagues (soigneusement classées par thèmes) que lire des dossiers officiels. Ses escapades dans son ranch californien remplacent souvent les réunions de crise, et ses interventions publiques, très travaillées sur la forme, masquent parfois une méconnaissance évidente du fond. Mais c’est justement cette insouciance affichée qui le rend irrésistiblement énigmatique et… redoutablement efficace.

Une Guerre froide sous stéroïdes

« America is back ! ». Le slogan claque et Ronald Reagan le prouve par ses actions. Retour de la course aux armements avec le programme « Star Wars », soutien aux moudjahidines en Afghanistan, confrontation avec l’Empire du Mal… Reagan dynamite la Guerre froide avec un éclat tonitruant. Et pourtant, le « crétin » s’avère être un joueur plus subtil qu’il n’y paraît. En forçant l’URSS à suivre son programme spatial coûteux, il accélère sa banqueroute. Les tensions montent mais ne dérapent jamais totalement. Gorbatchev finit par s’asseoir à la table des négociations, offrant des scènes mythiques, comme ces poignées de main dans un ranch ou la signature d’accords nucléaires à Moscou.

Et pourtant, les épisodes grotesques ne manquent pas. Reagan tranche sans sourciller dans les programmes sociaux (trop chers, et ça ne touche que les minorités, n’est-ce pas…), et survole les scandales comme l’affaire Iran-Contra avec une nonchalance qui confine à l’art. Ces moments, entre rires nerveux et indignation, constituent le cœur humoristique de la BD.

Une œuvre grinçante mais éclairée

La force de cet album réside autant dans sa reconstitution historique que dans son humour mordant. Le dessin semi-réaliste de Cédrick Le Bihan confère aux personnages une dimension à la fois caricaturale et fascinante : Reagan oscille entre pantin absurde et icône imposante. Jean-Yves Le Naour, de son côté, tisse un récit captivant, accessible au grand public, tout en y glissant une critique sociale acerbe.

Des parallèles appuyés avec l’époque contemporaine viennent enrichir l’analyse. Un certain Donald Trump, magnat de l’immobilier, y fait même une apparition subtile, rêvant déjà à une Amérique dirigée par un businessman. Les auteurs posent alors une question en filigrane : Reagan n’était-il pas une version adoucie du Trump que l’on connaît aujourd’hui ?

Conclusion

« Le crétin qui a gagné la Guerre froide » est bien plus qu’une bande dessinée historique. C’est une invitation à réfléchir sur la nature du pouvoir et les rouages de l’Histoire. Sous ses airs légers et son humour grinçant, voici un album qui nous rappelle que même les figures les plus improbables peuvent façonner le destin d’une époque. Ronald Reagan était-il vraiment un « crétin » ? Peut-être, mais quel crétin éclatant… et redoutablement inoubliable.

Le crétin qui a gagné la Guerre froide est une bande-dessinée de 64 pages publiée chez Bamboo Edition.




A propos Stéphane 722 Articles
Stéphane Le Troëdec est spécialiste des comics, traducteur et conférencier. En 2015, il s'occupe de la rubrique BD du Salon Littéraire. Ses autres hobbys sont le cinéma fantastique et les jeux. Enfin, et c'est le plus important : son chiffre porte-bonheur est le cinq, sa couleur préférée le bleu, et il n’aime pas les chats.