
C’est une page qui se tourne, certainement méconnue des lecteurs plus jeunes, mais une sacrée page quand même. Jim Shooter, l’enfant prodige des comics, s’est éteint à 73 ans, emporté par un cancer de l’œsophage. La nouvelle a été relayée par Mark Waid, visiblement très ému. Nous aussi, un peu, il faut bien le dire.
Petit retour en arrière. Parce qu’attention, on parle là d’un mec qui a claqué ses premiers scripts chez DC Comics à… 13 ans. Non, tu n’as pas mal lu. Treize. Quand toi, tu découvrais (laborieusement) comment conjuguer « être » au passé simple, lui envoyait des scripts de La Légion des super-héros griffonnés à Mort Weisinger, l’éditeur de Superman. Sans aucune idée de comment on fait des comics. Juste parce qu’il trouvait les histoires DC trop molles comparées à la tornade Marvel des années 60. Le gamin écrivait, dessinait, composait des histoires en deux parties, envoyait le tout par courrier. Peinard. Et devine quoi ? Mort Weisinger achète. Mieux : il fait bosser les dessinateurs pros à partir de ses crayonnés d’ado. À ce niveau-là, c’est plus de la précocité, c’est de la sorcellerie.

La Légion, les bastons, et Karate Kid
Jim Shooter ne fait pas les choses à moitié. Pour son premier scénario publié, il balance quatre nouveaux membres dans la Légion des Super-Héros. Quatre ! Un vrai coup de poker : Karate Kid, Projectra, Ferro Lad et Nemesis Kid (qui, plot twist, est un vilain planqué). Il trouvait que la Légion manquait d’action, alors il a casé un mec qui fout des torgnoles à Superboy. Oui, Superboy. La baston, ça le connaît.
Rapidement, le petit génie devient le scénariste attitré de la série, bosse sur d’autres titres (il crée le Parasite, la fameuse course entre Superman et Flash…), jusqu’à ce que la vie d’adulte le rattrape : diplôme, fac, factures… Il tente d’entrer chez Marvel Comics comme assistant éditeur mais repart la queue entre les jambes faute de salaire suffisant. Adieu les comics, retour à Pittsburgh, et bienvenue dans le monde merveilleux de la pub.

Come-back et Avengers
Heureusement, les fans de la Légion ne l’ont pas oublié. Une bande d’irréductibles le harcèle (gentiment) pour un fanzine. Le virus revient. Jim Shooter rechausse ses bottes scénaristiques, renfile son casque, et boum : retour à DC en 1975. Puis, comme souvent à l’époque, les éditeurs commencent à l’énerver. Et quand Marv Wolfman lui propose un poste chez Marvel, il n’hésite pas.
C’est à cette époque qu’il se fait les dents sur les Avengers. Il y écrit, entre autres, des arcs mémorables comme la première exploration des troubles psychiques de Hank Pym (oui, bien avant la gifle infâme). Et surtout, il écrit La Saga de Korvac, une des premières vraies tragédies cosmiques de Marvel. Ça rigole pas.

Jim Shooter, le boss, le vrai
En 1978, Marvel se cherche un nouveau rédac’ chef. Jim Shooter hérite du job, à même pas 28 ans. Et contre toute attente… il tient. Neuf ans. Plus que tous les autres, sauf un certain Stan.
Sous sa direction d’une main de fer, Marvel connaît une grande époque. Les retards s’évanouissent, les séries retrouvent un cap, le marché explose. Et niveau comics, ça aligne du Claremont/Byrne sur les X-Men, du Byrne solo sur Fantastic Four, du Frank Miller sur Daredevil, du Walter Simonson sur Thor, du Roger Stern sur Spider-Man et Avengers, du Claremont/Sienkiewicz sur les Nouveaux Mutants, DeMatteis/Zeck sur Captain America… Oui, quand même. On peut affirmer que Jim Shooter sait qui placer sur quelle série.
Il en profite même pour écrire Les Guerres Secrètes, le crossover avant l’heure. L’un des best-sellers de l’histoire de Marvel. Pas mal pour un gars qui n’avait pas d’agent et préférait être une grosse grenouille dans un petit marécage.

L’empire contre-attaque : Valiant
Bon, tout n’est pas rose non plus. Jim Shooter a des idées très arrêtées sur le storytelling. Et ça ne plaît pas à tout le monde. Au bout d’un moment, il finit par se faire virer. Le bonhomme tente de racheter Marvel (oui, carrément), il échoue, mais garde ses investisseurs sous le coude pour fonder une boîte à lui : Valiant.
Au début, c’est du comics sous licence Nintendo et du catch. Puis, il pose les bases d’un nouvel univers super-héroïque, avec Solar, Magnus et plus tard Turok. Et mine de rien, c’est Valiant qui finira par devenir un petit géant du comics indé dans les années 90. Jim Shooter écrivait encore les premiers titres. Il n’avait rien perdu de sa flamme.

Un ado dans les étoiles
Jim Shooter, c’était un paradoxe sur pattes : un gamin qui comprend à 13 ans comment bousculer une industrie, un adulte qui dirige Marvel Comics d’une main de fer, un créateur parfois autoritaire mais toujours passionné, capable du pire comme du meilleur. Tout au long d’une carrière incroyable, il a fait bouger les lignes, écrit des pages de légende et permis à des auteurs devenus cultes depuis de faire leur trou. Le genre de mec qu’on ne peut pas oublier, même si on a souvent eu envie de le contredire.
Et puis bon, sérieux… à 13 ans, t’envoyais des scripts à DC Comics, toi ?