
Et si on repartait de zéro ? Encore. Avec Absolute Superman, Jason Aaron et Rafa Sandoval relancent le mythe de Kal-El dans une version plus moderne, plus sociale, plus explosive. L’idée ? Recréer Superman, mais sans renier ses racines, en injectant un bon litre d’adrénaline, une pincée de lutte des classes et une bonne grosse louche de drame familial interstellaire. En 5 épisodes, ce premier arc construit patiemment un nouveau statut pour l’Homme d’Acier. Parfois trop patiemment, diront certains, mais rarement sans intérêt.
Le résultat ? Un comics qui prend son temps pour poser ses enjeux, installer son ambiance et offrir une relecture où Superman n’est plus un boy-scout en collant, mais un exilé, un marginal, un symbole de résistance. Ce n’est pas un simple reboot : c’est une mise à jour rafraîchissante d’un mythe qui en avait bien besoin. Un Superman du 21e siècle, moins parfait, mais plus humain. Et on signe tout de suite.

Krypton version hardcore : bienvenue dans la lutte des classes
Oubliez la Krypton des cristaux brillants et des prophéties fumeuses. Dans Absolute Superman, la planète natale de Kal-El devient un enfer bureaucratique ultra-hiérarchisé. On y distingue les castes à leur logo sur la poitrine, un peu comme si le logo « S » équivalait au marginal de l’espace. Kal-El naît dans la caste des ouvriers, ceux qui portent le fameux symbole devenu, dans ce contexte, le stigmate des « sans pouvoir ». En haut de l’échelle, les « klercs » de la ligue scientifique, aussi froids que brillants, règnent d’une main de fer, perchés dans leurs tours de verre et d’acier.
Cette vision de Krypton, plus sociale que mystique, offre un éclairage inédit sur les origines de Superman. Pour une fois, il ne quitte pas une planète idéale, mais une société brisée. Et cela change tout. Jason Aaron ne cherche pas la poésie, mais l’indignation. Et ça marche. Kal-El devient un véritable rebelle, le fils de deux parents débrouillards qui bravent les interdits. C’est à travers eux que naît le vrai Superman : non pas par ses pouvoirs, mais par sa capacité à dire non à l’ordre établi. Et là, on commence à comprendre ce que « Absolute » veut vraiment dire.

Absolute Superman, héros des causes perdues… et des lecteurs patients
Disons-le franchement : Absolute Superman n’est pas un comics pour les lecteurs pressés. Jason Aaron mise sur une narration lente, contemplative, presque introspective. Il prend cinq épisodes pour installer un monde, détailler des enjeux, raconter un personnage en profondeur. Si certains épisodes (comme le n°3) se passent intégralement sur Krypton, ce n’est pas un bug, cela participe à développer le contexte. Et dans un univers où tout va toujours trop vite, ce parti-pris mérite le respect.
Cela dit, le revers de la médaille, c’est que l’intrigue principale sur Terre avance au compte-gouttes. Superman enchaîne les séquences de prise de conscience, de discussions internes, d’interrogations morales, pendant que le lecteur attend (parfois désespérément) le premier vrai coup de poing. Mais cette attente est construite. Elle sert à créer un Superman qui ne cogne pas d’instinct, mais qui cherche d’abord à comprendre. Ce n’est pas un dieu en colère, c’est un surhomme tombé du ciel. Et c’est là toute la beauté (et la frustration) de ce nouveau départ.

Lois Lane : l’ennemie qui voulait du bien
L’autre réussite majeure de cette série, c’est Lois Lane. Jason Aaron ne se contente pas d’en faire une sidekick badass : il réinvente complètement son rôle. Dans Absolute Superman, Lois est une agente d’élite, formatée pour obéir, convaincue d’agir pour le bien commun. Elle n’est plus la journaliste curieuse, mais une machine à appliquer les ordres, chargée de surveiller, et si besoin neutraliser, ce Superman jugé potentiellement dangereux. Une vraie soldat de la paix en jupons.
Mais ce qui rend son personnage fascinant, c’est son évolution. Lois découvre peu à peu que le monde n’est peut-être pas aussi manichéen que ne laisse croire ses briefings militaires. Elle écoute les victimes que Superman sauve. Elle lit entre les lignes des rapports. Et elle commence à douter. Cette remise en question progressive, subtilement écrite, donne lieu à des scènes touchantes et justes. On sent que Lois est à un tournant, déchirée entre son éducation, ses convictions et la réalité brute : ce Superman-là est peut-être la seule lumière dans un monde en train de virer au cauchemar techno-fasciste.

Une rage venue des étoiles : quand Superman s’énerve enfin
Superman, c’est l’espoir. Mais parfois, l’espoir a les poings qui tremblent. Dans l’épisode 5, Jason Aaron ouvre enfin les vannes et libère la colère contenue depuis 4 numéros. Et là, ça claque ! Pas dans un délire à la Michael Bay, mais avec un élan de rage légitime. Une rage contre les systèmes oppressifs, contre l’inhumanité, contre l’injustice. Superman ne se contente plus de sauver des gens : il comprend pourquoi il doit se battre… et contre quoi !
Ce passage est magnifiquement mis en image par Rafa Sandoval. Le corps de Superman devient l’expression même du doute et de la douleur. Il passe d’icône figée à être de chair et de sang, animé par la révolte. Le dessin épouse cette métamorphose : les couleurs changent, les angles se resserrent, la mise en page devient plus heurtée. C’est un moment fort, rare, où le héros embrasse ses émotions sans être diabolisé pour autant. Superman n’est pas en colère parce qu’il perd le contrôle, il est en colère parce qu’il comprend que le contrôle, justement, est l’arme de ses ennemis. Et ça, c’est fort.
Absolute Superman : relecture réussie ou redémarrage dispensable ?
On ne va pas se mentir : Absolute Superman ne plaira pas à tout le monde. Il est lent, parfois trop. Il est dense, parfois trop. Il est politique, forcément. Mais pour ceux qui acceptent de s’immerger dans ce nouvel univers, c’est un régal. Ce n’est pas un Superman en pilote automatique, c’est un Superman réinventé de A à Z, un mythe reconstruit sur des bases neuves, sans renier le cœur du personnage : l’altruisme, la force morale, et l’espoir d’un monde meilleur.
Jason Aaron et Rafa Sandoval posent ici les fondations d’une grande saga. Et s’ils continuent sur cette lancée, Absolute Superman pourrait bien devenir une référence moderne aussi essentielle que All-Star Superman ou Man of Steel. On tient ici un Superman qui doute, qui saigne, qui change. Un Superman dont les lecteurs d’aujourd’hui ont besoin. Pas celui qui vole au-dessus de nous, mais celui qui marche à nos côtés, la mâchoire serrée, prêt à encaisser les coups. Et ça, franchement, c’est tout sauf dispensable.

Absolute Superman, tome 1 est un comics publié en France par Urban Comics. Il contient : Absolute Superman #1-5.