Avec Pulp, Ed Brubaker et Sean Phillips nous plongent dans le New York de la fin des années 30 dans les pas de Max Winter, un écrivain de romans à 4 sous. Le comics Pulp, c’est la peinture de la de montée du nazisme avec en toile de fond un Far West nostalgique et fantasmé. Court mais indispensable.
■ par Stéphane Le Troëdec
Chaque nouvelle publication du duo Ed Brubaker-Sean Phillips est un petit événement. Car depuis des années, les 2 artistes nous ont habitué à des comics de très grande qualité, navigant entre le polar noir et le thriller, flirtant parfois avec le fantastique. Kill or Be Killed, Fondu au noir, Fatale, Criminal sont autant de valeurs sûres dans leurs genres. Autant dire que leur dernière production, Pulp, était attendue. Et ce, à juste titre, puisque c’est encore une fois une réussite totale.
Cow-boys et nazis dans le New York de la fin des années 30
New York, début 1939. Max Winter écrit des nouvelles pour Six Gun Western, un pulp magazine spécialisé dans les histoires de cow-boys. Le héros des aventures de Max, c’est Red River Kid, un pistoléro à la chemise rouge. Même si Max Winter a des ambitions artistiques, il est payé une misère pour écrire des aventures stéréotypées dans une revue bas de gamme. Mais Max dissimule un secret : il s’inspire de son passé pour écrire les aventures du Red River Kid, des exploits autobiographiques donc, que Max met en scène par nostalgie. Sauf que Max enjolive un peu les choses : il n’a pas toujours été, lui, un cow-boy honnête et loyal, bien au contraire puisqu’il a été poursuivi par la justice avant de disparaître et de refaire sa vie… Un beau jour, dans le métro, il vient en aide à un juif molesté par des brutes. Max manque de mourir d’une crise cardiaque. Il comprend qu’il vieillit, qu’il ne lui reste peut-être plus autant qu’il souhaiterait à vivre. D’autant que son responsable éditorial lui fait comprendre que les droits de Red River Kid ne lui appartiennent pas, qu’on pourrait le remplacer par un scénariste plus jeune. Max ne souhaite alors plus qu’une chose, profiter des derniers jours qu’il lui reste à vivre en compagnie de sa chérie, Rosa. Mais sans argent devant soi, difficile de mener la belle vie. Alors Max Winter commence à échafauder son ultime braquage. C’est à ce moment qu’entre en scène un mystérieux personnage qui lui offre son aide…
« Trop court et trop cher », diront certains. Et ils auront tort
Ne tournons pas autour du pot : Pulp est un excellent comicbook qui n’a pour seul défaut que d’être trop court, soit un album de 72 pages vendu à 12 euros. Certains lecteurs trouveront le rapport pagination/prix trop désavantageux : tant pis pour eux, ils rateront ce qui est une des meilleures sorties de cette année. Pourquoi ? D’abord parce que Pulp raconte une histoire parfaitement construite et exécutée, dense. Ici, il n’y a pas de « gras », de pages en trop, de ficelles sur lesquelles on tire. Tout est ramassé, intense, mais à sa place, parfaitement disposé. Et moi, personnellement, je préfère lire une excellente intrigue sur un format court, que la même dont on rallonge la sauce pour tenir dans un format de 120-140 pages.
Écrivain désabusé et pistoléro : deux héros pour le prix d’un seul
Le héros de Pulp, c’est Max Winter, on l’a expliqué dans le résumé ci-dessus. Mais Ed Brubaker dédouble son personnage principal. Max Winter est bien ce vieil écrivain aigri mais aussi, indirectement, le Red River Kid, le cow-boy à la chemise rouge. Au début de Pulp, Ed Brubaker et Sean Phillips s’amusent à nous les présenter chacun à part via, le temps de quelques pages jaunis, une adaptation graphique des westerns imaginés par Max. Et puis, progressivement, Pulp va brouiller les cartes jusqu’à fusionner le jeune pistoléro voyou et impétueux au vieil écrivain amoureux plein de panache.
Trois univers
Dès les 1res pages de Pulp, on a donc d’un côté le monde de Max Winter, avec ses problèmes d’écrivain (comment concilier ses ambitions d’artistes avec les problématiques de l’éditorial ?) ; et de l’autre un monde fantasmé et nostalgique fleurant bon le Far West. À ces 2 ambiances, Ed Brubaker et Sean Phillips superposent un autre univers, celui du fascisme qui se répand aux États-Unis au début de l’année 1939. Un New York où les nazis défilent ouvertement à Times Square, où les juifs sont agressés dans le métro, où les soutiens américains à Hitler expédient des caisses entières de billets en Allemagne. Ed Brubaker et Sean Phillips nous font naviguer entre ces 3 mondes et créent avec Pulp une ambiance bien particulière, où le drame intime résonne avec la grande Histoire.
Pulp, un comics référencé
Enfin, pour parachever Pulp, les auteurs glissent régulièrement des allusions aux comics, aux pulps et à leurs industries. Bien entendu, toute la partie consacrée au Max Winter écrivain de westerns permet d’aborder des sujets comme la précarité des artistes, la question du droit d’auteur et de la paternité des œuvres. Indirectement, le « bund » germano-américain, une organisation pro-nazi de NY, rappellera aux amateurs de Captain America, et de Jack Kirby, les origines de son fameux coup de poing à Hitler sur une couverture devenue célèbre. Enfin, la représentation des aventures de Red River Kid évoque immanquablement les comics western qui connurent un énorme succès au lendemain de la guerre aux USA. Allez, une dernière référence : Max et son mystérieux allié prendront des allures de The Shadow lors d’un braquage mené avec un foulard sur le nez ! ■
Pulp est un comics publié en France chez Delcourt. Il contient Pulp TPB.