Jackson « Butch » Guice, légende discrète de DC et Marvel, s’est éteint à 63 ans

Jackson Butch Guice
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Le 1er mai 2025, Jackson « Butch » Guice nous a quittés à l’âge de 63 ans. Et si son nom ne provoque pas l’immédiate révérence, il suffit de jeter un œil à sa bibliographie pour se rappeler que le bonhomme a lourdement pesé sur le médium pendant plus de quarante ans. Butch Guice, c’était ce genre de dessinateur capable de bosser sur tous les titres majeurs, chez toutes les maisons, sans jamais qu’on ait envie de tourner la page. Un artisan de l’ombre, mais un artisan de haut vol.

Tout commence au début des années 80, sur un annual de Rom. Butch Guice se fait vite repérer et enchaîne sur les Micronauts de Mantlo, puis claque de superbes illustrations dans Marvel Fanfare #9. À l’époque, il croque Wolverine, Kitty Pryde, Howard the Duck ou Gorgon avec une énergie brute et déjà une élégance classique. En 1986, il co-crée Apocalypse avec Louise Simonson dans X-Factor, rien que ça. On lui doit donc l’un des plus grands antagonistes des X-Men.

Puis vient DC : The Flash avec Mike Baron, Action Comics pendant La Mort de Superman (il a dessiné Doomsday qui savate Kal-El, respect), l’intro d’un Eradicator version post-mortem, et un Action Comics #700 devenu culte. Il passe aussi par Valiant, crée Resurrection Man avec Dan Abnett et Andy Lanning, puis suit Chuck Dixon sur Birds of Prey. Le monsieur avait la bougeotte.

Il y a aussi Doctor Strange, Nick Fury, Iron Man, Deathlok, JLA Classified, Aquaman, Captain America, Winter Soldier, Invaders… À chaque fois, Butch Guice ne se contentait pas de suivre le script : il y posait une ambiance, une texture. Il n’était pas du genre à faire dans le flamboyant ou le tape-à-l’œil facile. Son style était dense, réaliste, légèrement old school, mais avec une tension moderne dans la composition. Un mélange entre le classicisme d’un Gene Colan et la noirceur viscérale d’un Michael Lark.

Sur Doctor Strange, il apportait un surréalisme organique, loin des volutes planantes à la Ditko. Son Sorcier Suprême avait l’air d’un homme usé par la magie, pas d’un illusionniste en goguette. Dans Nick Fury, Agent of S.H.I.E.L.D., il plongeait dans l’espionnage à la John Le Carré, avec des gueules fatiguées, des bureaux humides, des flingues qui pèsent dans les mains. Deathlok, c’est une autre claque : avec McDuffie et Gregory Wright, il injecte une rage science-fictionnelle et hardware dans les pages de Marvel. C’est moite, agressif, poisseux. Même les circuits imprimés transpirent.

Puis vient l’âge mûr : JLA Classified, Aquaman relancé avec Kurt Busiek où il fait de l’océan un territoire sauvage, mythologique, aux reflets menaçants. Mais c’est avec Ed Brubaker, Mike Perkins et Steve Epting, ses anciens camarades de Crossgen, qu’il livre son chef-d’œuvre : Captain America. Dans ce run devenu culte, Butch Guice alterne encre et crayon pour façonner un Cap ancré dans la géopolitique de l’après 11 septembre. Son Bucky, pardon, son Soldat de l’hiver, est plus que jamais une silhouette hantée, un fantôme soviétique aux yeux lourds de remords. Là encore, ce n’est pas la pose qui compte, c’est le poids. Le passé, la guerre, la solitude : tout ça transpire des pages.

Son dernier boulot, The Futurists, date de 2020. Depuis, Butch Guice se faisait discret, mais ses planches, elles, continuaient à vivre dans les mémoires des lecteurs et des back issues. Son frère par alliance l’a décrit comme un homme solide, droit, farouchement loyal, qui avait dessiné l’insigne de son unité militaire sur une couverture de Captain America. Par respect, par amour.

Le monde des comics vient de perdre une voix graphique unique. Pas un révolutionnaire tapageur, non. Un bâtisseur, un styliste old school, un mec qu’on voulait à bord quand il fallait donner du corps à une histoire. Son trait, c’était du cinéma des années 70 passé au crayon HB : brut, sec, mais toujours élégant.




A propos Stéphane 735 Articles
Stéphane Le Troëdec est spécialiste des comics, traducteur et conférencier. En 2015, il s'occupe de la rubrique BD du Salon Littéraire. Ses autres hobbys sont le cinéma fantastique et les jeux. Enfin, et c'est le plus important : son chiffre porte-bonheur est le cinq, sa couleur préférée le bleu, et il n’aime pas les chats.