Batman : White Knight, c’est la promesse d’un Sean Murphy aux commandes d’un récit complet mettant en scène un affrontement presque aussi vieux que les comics : Batman contre le Joker. L’affiche a de quoi être alléchante et la mini-série a connu un succès énorme aux États-Unis (une suite est déjà dans les cartons). Mais Batman : White Knight mérite-t-il son statut de « classique instantanée » ? Ne nous emballons pas, car c’est un titre plombé par de petits défauts qui l’empêche d’accéder à cette appellation. Mais Batman : White Knight n’en reste pas moins un titre exceptionnel, notamment par le traitement de l’intrigue. Explications.
■ par Stéphane Le Troëdec
Il fallait bien que ça arrive un jour ou l’autre. Au terme d’une course-poursuite épique, Batman finit par coincer le Joker dans un laboratoire. Mais usé et agacé par les provocations, le Chevalier Noir tabasse le Joker. À bout de nerfs, aveuglé par la colère, il lui fait avaler de force tout un tube de pilules. La scène ayant été filmée et relayée sur les réseaux sociaux, l’image publique de Batman est dangereusement écornée. Et surprise ! le Joker a survécu à l’agression, mais les mystérieuses pilules semblent l’avoir guéri de sa folie. Le Joker, qui se fait maintenant appeler Jack Napier, devient un homme calme, raisonné, charismatique et extrêmement intelligent. Soutenu par une partie de la population de Gotham, le Joker vise le poste de maire de Gotham, bien décidé à débarrasser la ville d’un Batman devenu indésirable…
Une idée déjà vue
Batman : White Knight revisite le thème archi classique du double négatif. À savoir : le méchant devient le gentil, et le gentil devient le méchant. Une manière de revisiter les relations qu’entretiennent depuis longtemps Batman et son ennemi juré, le Joker. Dans le fond, Batman : White Knight ne propose rien de vraiment neuf ni d’original. L’idée d’un Joker « gentil », « chevalier blanc », totalement à l’opposé du supervilain pervers, existe depuis longtemps. Dès 2007, Countdown to Final Crisis 32 montrait un certain Jokester, héros d’un univers et d’un Gotham alternatif, qui combattait le vilain Owlman et son acolyte Talon. Aucune raison donc de s’extasier devant l’originalité de l’idée générale de ce Batman : White Knight. Autre soucis : le Batman énervé, fatigué, à bout de nerf, ou encore « evil », c’est aussi une idée archi-visitée, pas plus tard que dans Batman Metal. Mais Sean Murphy emballe son histoire de fort belle manière. C’est dans le traitement du thème que l’artiste, ici scénariste et dessinateur, réussit à proposer du neuf.
Un traitement réussi
La grande force de ce Batman : White Knight, c’est la manière dont Sean Murphy réussit à cuisiner son histoire. L’auteur de l’excellent Punk Rock Jesus emballe le tout avec une intelligence qui fait plaisir à voir. Car l’affrontement entre Batman et le Joker se fait plus sur le plan idéologique que physique. Comprendre : ça parle beaucoup dans Batman : White Knight, parfois même un peu trop, avec des « tunnels » de discussion longuets. Ou bien il y a des sous-intrigues inutiles qui donnent l’impression qu’on fait durer le plaisir (Harley Quinn était-elle à ce point indispensable ?). Ou même des incohérences un peu agaçantes. Mais on pardonnera à Sean Murphy ces maladresses dans la mesure où ses personnages ne parlent pas pour ne rien dire. Le Joker met Batman, la police de Gotham et finalement toutes les autorités de la ville face à leurs responsabilités. Son arme, c’est la diatribe, le questionnement, le dialogue. Il y a ici des phrases qui frappent le héros comme des coups de poings. Alors Batman : White Knight, comics social ? Oui, Sean Murphy aborde par moment le sujet des violences policières, du racisme, de la politique. Pas forcément le genre de thèmes qu’on a l’habitude de lire dans les comics Batman.
La classe de Sean Murphy
D’un point de vue graphique, il faut bien avouer que Sean Murphy en a sous la pédale. Ce dessinateur est capable de rendre intéressante à peu près n’importe quelle scène. Au point que le Sean Murphy « scénariste » peut vraiment remercier le « dessinateur » sur certains passages. À partir du moment où les nez pointus (typiques de S. Murphy) ne vous dérangent pas, Batman : White Knight possède sans conteste un cachet graphique par moment réellement affolant. Autre sujet d’intérêt : son Jack Napier (clin d’œil autant au Batman de Tim Burton qu’à la série animée des années 90) vole la vedette à Batman, présenté comme une espèce de « génie du bien » ou de Sherlock Holmes terriblement charismatique. À noter la publication d’une édition noir et blanc de White Knight qui met encore mieux en valeur le trait de Sean Murphy : un must-have ! ■