
Anzuelo, la nouvelle bande dessinée d’Emma Ríos, est de ces ouvrages qui attirent l’attention dès les premières pages. Imaginez trois enfants, projetés dans un monde dévasté par un tsunami, essayant de survivre en trouvant de quoi manger, de quoi boire, et surtout de trouver un sens à tout cela. Le scénario démarre sur ce terrain connu, celui de la survie brute, du survival, mais très vite, Anzuelo devient bien plus. Une fois l’abri trouvé et le premier feu allumé, Emma Ríos nous entraîne dans une réflexion beaucoup plus profonde sur la communauté, l’identité et le sens de la vie. Rien que ça.
Anzuelo pose des questions simples mais universelles : comment trouver sa place dans un monde qu’on ne reconnaît plus ? Peut-on être utile sans se réduire à sa fonction ? Emma Ríos nous oblige à nous interroger sur le rapport entre individu et société, entre besoins personnels et attentes collectives. Et tout cela dans un contexte mi-horrifique mi-poétique, où chaque geste, chaque regard semble porteur de sens.

Un style visuel à couper le souffle
Parlons du style, parce que franchement, Anzuelo est un régal pour les yeux. Emma Ríos vous la connaissez en France pour quelques épisodes dans l’univers de Spider-Man (Osborn) ou le western Pretty Deadly chez Glénat Comics. Sur Anzuelo, changement radical de style puisqu’elle utilise l’aquarelle pour créer des planches à la fois éthérées et chaotiques. Les teintes chaudes (rouges, jaunes, ocres) dominent, un choix étonnant pour une histoire où l’océan joue un rôle central. Mais ce choix fonctionne à merveille, renforçant l’idée que, même dans la solitude, la chaleur de la communauté peut subsister. Les cases, d’une précision presque chirurgicale dans leur organisation, contrastent avec le style plus à la limite de l’abstrait des personnages et des paysages. Un rappel visuel que l’ordre que l’on impose au monde est souvent artificiel.
Ajoutez à cela des scènes qui semblent littéralement sorties d’un rêve (ou d’un cauchemar) et vous obtenez une ambiance unique, entre le psychédélique et le méditatif. Les lecteurs attentifs décèleront peut-être des influences à la HP Lovecraft ou à la Hemingway, mais à la sauce Emma Ríos.

Un scénario parfois déconcertant
Si le style et l’ambiance d’Anzuelo font presque l’unanimité, le scénario, lui, pourra diviser. Les sauts temporels, bien que réalisés avec audace, peuvent parfois dérouter. Il m’est arrivé de devoir relire plusieurs pages pour me situer dans la chronologie : un effort qui, bien que louable pour certains, pourra en frustrer d’autres. On aurait aimé que l’évolution du style visuel accompagne ces ellipses, mais à aucun moment les dessins ne reflètent ces changements de temps. On reste dans une continuité esthétique qui, bien que magnifique, manque peut-être d’évolution.

Une réflexion sur notre époque
Ce qui frappe surtout, c’est combien Anzuelo parle de notre monde actuel, sans jamais le dire directement. Le désastre écologique qui ouvre le récit rappelle inévitablement les conséquences du changement climatique. Et cette question sous-jacente plane sur tout le livre : dans un monde brisé par nos erreurs, que laisserons-nous à ceux qui nous suivent ? Les enfants d’Anzuelo doivent, littéralement, reconstruire un monde sur des bases nouvelles, et leurs luttes évoquent nos propres défis pour trouver un équilibre entre individuel et collectif.

Conclusion : à ne pas manquer
Malgré ses imperfections, Anzuelo est une œuvre à découvrir absolument. Emma Ríos signe là un comicbook aussi beau qu’intelligent, une véritable expérience sensorielle et méditative. Que vous soyez amateur de beaux dessins, passionné de philosophie ou simplement curieux, ce livre vous fera réfléchir longtemps après avoir tourné la dernière page. Et rien que pour le bel objet (le façonnage de l’ouvrage est tout juste splendide), c’est un incontournable.

Anzuelo est un comics de 312 pages publié en France chez 404 Éditions.