DC Christmas, c’est le genre d’album qu’on ouvre en se disant « allez je lis juste une histoire »… et qu’on referme deux heures plus tard tout heureux d’avoir pu plonger dans l’esprit de Noël. Urban Comics a compilé ici 24 épisodes de Noël piochés dans toute l’histoire de DC, du Golden Age aux années Rebirth, avec du Batman triste, du Superman humaniste, du Flash qui cavale sous la neige et des héros secondaires qui volent la vedette. L’idée de cette critique est simple : parcourir cette anthologie en s’arrêtant sur quelques épisodes, pour répondre aux vraies questions que se posent les lecteurs de comics : est-ce que DC Christmas tient la route ? Est-ce que ces récits ont encore quelque chose à raconter ? Morceaux choisis…

Frank Miller et Batman : un Noël dans Crime Alley
Dans DC Special Series #1, le Batman de Denny O’Neil dessiné par un tout jeune Frank Miller, bien avant « The Dark Knight Returns » (c’est son premier travail pour DC). Ce qui ressort d’abord, c’est la silhouette de Batman avec sa cape immense et ses poses félines, il y a déjà ce côté statue vivante que Miller poussera dans les années 80. Le cœur de l’épisode, c’est la relation entre le Dark Knight, un petit mafieux paumé et Boomer Katz, ex-voyou devenu Père Noël de grand magasin. Batman se déguise en clodo dans Crime Alley, découvre un type qui tente sincèrement de changer de vie et se retrouve spectateur d’une rédemption à petite échelle. Le twist surnaturel final avec l’étoile qui réapparaît peut sembler kitsch, mais dans le cadre de DC Christmas, ça donne justement ce parfum de conte qu’on attend d’un récit de Noël.

Superman #64 : « Le courrier de Metropolis » et le poids des lettres
Dans « Le courrier de Metropolis », Superman se confronte à l’une de ses pires menaces : les lettres de ses fans. Deux jours avant Noël, Clark montre à Lois la montagne de courrier qu’il reçoit, entre demandes égoïstes, détresses sociales et véritables tragédies. L’épisode le suit de ville en ville, à tenter de répondre à un maximum de requêtes, tout en acceptant qu’il ne pourra jamais sauver tout le monde. Les lettres que Superman lit sont toutes poignantes et montre un éventail d’humanité assez dingue, depuis la petite faveur jusqu’au drame familial. Le parallèle avec la fameuse réplique du Superman de Richard DOnner (« Toutes ces choses que je peux faire, tous ces pouvoirs, et je n’ai même pas pu le sauver. ») donne une vraie force émotionnelle à l’ensemble. Dans DC Christmas, c’est clairement l’une des pièces maîtresses, celle qui rappelle pourquoi Superman reste un symbole d’espoir crédible.

Batman Annual #1 : Bon chien-chien
Dans cet épisode signé Tom King et David Finch, DC Christmas nous offre un cadeau inattendu : l’origin story d’Ace le Bat-chien. Et attention, pas la version cartoon toute mignonne : Tom King ouvre sur un début bien sombre, avec un chien brisé que le Joker a dressé à la souffrance. Mais l’histoire bascule quand Alfred (parce que bien sûr, qui d’autre ?) décide de sauver l’animal, de le soigner, et surtout… de le rééduquer. Le cœur du récit, ce sont ces scènes d’entraînement où Ace désapprend la violence pendant que Bruce Wayne affronte des super-vilains en n’ayant absolument aucune idée de ce que son majordome est en train d’accomplir dans la Batcave. C’est touchant, c’est drôle, et ça prouve qu’on peut apprendre de nouveaux tours, pas seulement quand on a quatre pattes. Ace, Alfred et Batman forment sûrement l’un des trios les plus émouvants du DC Christmas.

Batman Adventures Holiday Special : Harley et Ivy font les soldes
Dans Batman Adventures Holiday Special, l’épisode « Au pied du sapin » est probablement l’une des histoires les plus populaires de l’album. Paul Dini et Ronnie Del Carmen s’amusent à kidnapper Bruce Wayne pour le transformer en carte bleue humaine : Harley Quinn et Poison Ivy l’ensorcellent avec un rouge à lèvres et l’emmènent faire du shopping de Noël en plein Gotham. C’est drôle, rythmé, bourré de gags visuels (le moment où elles croient l’avoir tué en le poussant dans une cage d’ascenseur est irrésistible) et ça fonctionne comme un best-of de ce duo improbable. On est loin du Batman torturé, mais le ton série animé apporte une légèreté bienvenue, surtout pour ceux qui ont découvert ces personnages à la télé avant de les lire en comics.

Justice League of America #110 : « L’homme qui a tué le père Noël ! »
Retour aux années 70 avec Justice League of America #110, où Len Wein, Dick Dillin et Dick Giordano s’autorisent un titre choc : quelqu’un a « tué » le Père Noël. En réalité, il s’agit d’un père Noël de rue abattu dans le cadre d’un plan tordu pour éliminer la Ligue, en utilisant des pièges ultra sophistiqués (et parfois très tirés par les cheveux). L’épisode est un pur concentré d’âge de bronze : exposition bavarde, gadgets improbables, Red Tornado qui finit par comprendre le sens de Noël, et même une apparition du Phantom Stranger. Dans ce DC Christmas, c’est un morceau généreux, un peu daté, mais qui a ce charme des grosses histoires de la JLA où tout le monde se chambre, se sacrifie héroïquement et revient à temps pour trinquer autour du sapin…
DC Christmas ressemble vraiment à un calendrier de l’avent pour les lecteurs de comics : on ouvre une case, on tombe parfois sur un vieux chocolat un peu craquant (les Golden Age, les récits JLA bien bavards), parfois sur un bon bonbon qui fond parfaitement.
Superman et l’homme au bord du suicide (Christmas with the Super-Heroes #2)
Sans doute l’une des histoires les plus fortes de DC Christmas : Superman croise la route d’un homme qui va se suicider dans sa voiture, isolé sur une route glacée. l’artiste Paul Chadwick le fait entrer par la fenêtre comme si de rien n’était et engage un vrai dialogue, où l’homme parle de douleur chronique, de solitude, de famille perdue. Pas de gros combat, pas de vilain, juste Superman qui essaie de convaincre un inconnu que sa vie vaut encore le coup. La fin, avec le panneau indiquant Smallville et la promesse de garder le secret, est simple mais terriblement touchante. C’est exactement le type de récit post-Crisis qui redonne à Superman sa dimension humaine, c’est un incontournable.

Deadman et Kara Zor-El : la mémoire de la pré-Crisis (Christmas with the Super-Heroes #2)
Souvent cité comme l’une des plus belles histoires de Noël de DC : Deadman, en pleine crise existentielle, finit par croiser une mystérieuse jeune femme blonde qui est la seule à le voir. Il se plaint de son rôle, de sa solitude, de l’absence de reconnaissance, jusqu’à ce qu’elle lui rappelle que l’important, ce n’est pas d’être applaudi, mais d’aider. Et à la fin, révélation : c’était Kara Zor-El, la Supergirl pré-Crisis effacée de la continuité, qui vient lui dire que même ceux dont on ne se souvient plus ont compté. Ce récit fait ici office de méta-commentaire sur les reboots, sur les héros disparus, et sur la façon dont les lecteurs eux-mêmes gardent ces versions en mémoire. Frissons garantis.
Batman & Huntress : retrouver la foi en Thomas Wayne (The Brave and the Bold #184)
Dans The Brave and the Bold #184, Batman passe un Noël assez compliqué en découvrant des documents suggérant que son père aurait financé un mafieux. Au moment où il remet en question tout son héritage, débarque Huntress de Terre-2, qui vient passer les fêtes avec son « oncle » Bruce. Mike W. Barr et Jim Aparo livrent un récit très 70s/début des 80s, avec explication express du multivers en deux cases et enquête aux allures de polar familial. L’important, c’est le cheminement de Bruce : on le voit vaciller, renoncer pour un temps à sa mission, puis redécouvrir la vérité et se réengager devant la tombe de ses parents. Dans DC Christmas, c’est l’une des histoires les plus « Gotham », parfaite pour ceux qui aiment un Batman humain mais pas encore dark à l’extrême.
The Flash #73 : « Le cadeau idéal »
Mark Waid et Greg LaRocque signent avec Flash #73 une histoire de Noël simple et terriblement efficace, centrée sur Wally West, Jay Garrick et un futur père prêt à braquer un magasin. Wally se traîne chez Jay et Joan pour le réveillon, s’ennuie un peu, puis suit le vieux Flash pour une tournée de bonnes actions : sauver des passants, épauler une femme enceinte en détresse, et retrouver Joey avant qu’il ne gâche sa vie. Ce qui marche, c’est la dynamique père/fils entre Jay et Wally, ce mélange d’humour et de tendresse qui parcourt tout l’épisode. La fin, avec l’épilogue qui te colle une larme à l’œil, rappelle que Mark Waid sait utiliser l’émotion sans tomber dans le pathos. Cet épisode fait partie des épisodes présentés ici qui ont le mieux vieilli.

Les Lascars ont un cœur : Flash et le DC Rebirth Holiday Special
On reste à Central City avec l’histoire de Flash dans le DC Rebirth Holiday Special : un affrontement avec les Lascars qui tourne à la trêve pour les enfants défavorisés. James Tynion IV n’essaie pas de faire compliqué : les méchants veulent braquer quelque chose en profitant d’un évènement caritatif, Flash les arrête, mais tout le monde finit par mettre de l’eau dans son vin pour ne pas gâcher Noël aux gamins. Le dessin de Robbi Rodriguez, très clair et lumineux, renforce cette impression de fable moderne. Par rapport à d’autres récits beaucoup plus chargés en texte, celui-là respire, et dans ce recueil, il apporte ce petit côté « épisode de série animée qu’on regarde en famille sans trop se prendre la tête ».

Green Lantern : Larfleeze Christmas Special
Geoff Johns profite du Larfleeze Christmas Special pour faire ce qui semble évident dès qu’on connaît le personnage : confronter le Lantern de l’Avarice au concept de Père Noël. Larfleeze découvre qu’il existe un type qui donne gratuitement des cadeaux à tout le monde, rédige une liste interminable, décore son repaire et pète un câble quand il se rend compte qu’il n’a rien reçu. Hal Jordan débarque pour lui expliquer que Noël, ce n’est pas l’avidité, mais la générosité, et l’oblige à fabriquer des présents avec ses « trésors » pour les offrir aux plus démunis. La morale est simplissime, mais l’épisode est fun, bourré de petites blagues et d’idées visuelles (les clins d’œil au Grinch…). Ce n’est pas le plus profond de l’album, mais c’est un des plus divertissants, surtout si on lit ça avec des enfants.
Golden Age de Noël : Sandman et Superman en mode vintage
DC Christmas pioche aussi dans les tout débuts de la maison avec deux curiosités Golden Age : « Santa Fronts for the Mob » avec le Sandman original, et « Superman’s Christmas Adventure ». Dans la première, un faux Père Noël sert de couverture à des gangsters jusqu’à ce que Sandman et Sandy viennent remettre de l’ordre, dans une ambiance pulp où le concept de « gaz soporifique » est considéré comme une bonne idée de super-pouvoir. Dans la seconde, Superman kidnappe littéralement un gamin riche pour lui montrer la pauvreté, avant d’aller sauver le vrai Santa des griffes de deux industriels nommés Dr. Grouch et Mr. Meaney. C’est absurde, parfois maladroit, mais c’est aussi l’occasion de voir à quel point l’imagerie de Noël était déjà utilisée comme décor moral dans les années 40, bien avant les grandes sagas modernes.
Teen Titans #13 : « Un chant de Noël qui swingue »
Impossible de faire une anthologie DC Christmas sans passer par le Teen Titans de Bob Haney. Dans « Un chant de Noël qui swingue », Robin, Kid Flash, Aqualad et Wonder Girl rejouent littéralement « Un chant de Noël » avec un Scrounge épaulé par un Ratchet et son fils Tiny Tom, histoire de sauver une machine recyclant les déchets en objets neufs. Les Titans se déguisent en fantômes des Noëls passé, présent et futur, déclenchent des pièges, se font capturer, s’en sortent grâce à l’émotion suscitée par le fauteuil roulant du gamin… et tout se termine par un Scrounge repenti qui offre un fauteuil électrique groovy. C’est bête, adorable, verbeux, mais dans DC Christmas, ça remplit parfaitement le quota kitsch des années 60, celui qu’on lit avec un grand sourire.

Batman en mode léger : Brave and the Bold #148 et « La douce nuite de Batman »
DC Christmas propose aussi deux visions plus douces du Chevalier Noir. Dans Brave and the Bold #148, Batman fait équipe avec Plastic Man pour déjouer un trafic de cigarettes (oui) maquillé derrière un enlèvement de décor de vitrine de Noël. Bob Haney s’amuse avec le contraste entre le sérieux de Batman et l’élasticité débile de Plastic Man, jusqu’à une bataille finale dans une fête de gangster déguisée en réveillon. De l’autre côté, « La douce nuite de Batman » (Batman #219) montre un Bruce appelé par le Bat-Signal… pour se faire dire par Gordon qu’il a le droit, pour une fois, de se poser un peu et de chanter des cantiques avec la police. Pendant qu’il chante, de petites vignettes muettes montrent des crimes qui avortent pour des raisons presque « miraculeuses ». Ces histoires est rassemblée dans DC Christmas comme un rappel que Batman peut aussi, parfois, vivre une nuit sans coups de poing.
Conclusion : DC Christmas, un calendrier de l’avent pour lecteurs de comics
Au final, DC Christmas ressemble vraiment à un calendrier de l’avent pour les lecteurs de comics : on ouvre une case, on tombe parfois sur un vieux chocolat un peu craquant (les Golden Age, les récits JLA bien bavards), parfois sur un bon bonbon qui fond parfaitement. L’album ne se lit pas comme une grande histoire continue, mais comme une playlist d’histoires plus ou moins longues, du plus absurde au plus bouleversant. Pour un lectorat français de 30-50 ans qui a grandi avec les dessins animés Batman, les kiosques Semic ou les gros events Urban, c’est aussi un joli panorama de l’histoire de DC, qui montre comment Superman, Batman, la Justice League ou Larfleeze s’approprient, chacun à leur manière, le motif de Noël. Est-ce qu’on lira DC Christmas en plein mois de juin ? Probablement pas. Mais rangé avec les décorations de Noël et ressorti chaque hiver, il a largement de quoi devenir un petit rituel de saison.

DC Christmas est un comics publié en France par Urban Comics. Il contient : DC Special Series #21, Batman #219, Superman #64, Batman annual #1, Sensation Comics #14, Batman adventures Holiday Special, Justice League of America #110, Christmas with the Super-Heroes #2, The Brave and the Bold #184, The Flash #73, DC Rebirth Holiday Special #1, Green Lantern: Larfleeze Christmas Special #1, DC Comics Presents #67, Adventure Comics #82, DC Universe Holiday Bash #1, Teen Titans #13, DC’s Batman Smells, Robin Laid an Egg #1, Detective Comics #826, The Brave and the Bold #148, Superman’s Christmas Adventure #1